L'INSPECTEUR

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Cela fait deux cents ans qu'il ne se voit plus dans un miroir.

Les miroirs sont des surfaces brillantes et lisses, vierges de toute image.

Et cependant, il est là.

Il se souvient mal de lui-même.

Mais il y a quelques souvenirs tout de même.

Tout d'abord sa taille !

Il est grand : six pieds de haut ! Il a l'habitude de dominer les autres et de contempler le monde de haut.

Il est fort : rappels de combat de rue ! Il peut se mouvoir rapidement et frapper vite et vicieusement.

Il est cruel : des gémissements et des prières ! Il arrête sans pitié et n'écoute les doléances que d'une oreille distraite.

D'autres souvenirs lui reviennent.

Ses yeux.

Il les a tellement vus en se rasant par le passé. Ils sont clairs, transparents et brillants.

Ses cheveux.

Noirs et longs. Il les noue en catogan. Et parfois, lorsque les enquêtes sont dangereuses, il les tresse pour les cacher sous une casquette d'ouvrier.

Son sourire de fauve.

Il sourit quand il est content, quand il croit faire ce qui est juste.

Il ne sourit plus beaucoup aujourd'hui...

Quoique avec Rivette...

Son nom...

Non, ça il l'a définitivement oublié.

Sa mort ?

Oubliée, mais il est certain de s'être suicidé !

Et il sait qu'il DOIT trouver quelque chose pour enfin disparaître.

Mais il ne sait pas ce qu'il cherche.

C'est long, l'éternité !

Et il y a ce qu'il est capable de voir.

Sa peau est sombre.

On l'a souvent insulté pour cela.

Pas la bonne couleur de peau, pas la bonne origine, pas la bonne classe sociale.

Et un cogne de surcroît.

Il ne l'a jamais oublié ! Il a connu trop de haine !

Il regarde ses mains.

De larges mains, des doigts épais, ils les ferment pour former un poing redoutable.

Il se remémore des nez brisés et des lèvres fendues.

Lui ?

Peut-être...

Des prévenus ?

Plutôt...

Ses favoris ! Noirs, épais et touffus.

Il a l'habitude de les tirer lorsqu'il réfléchit ou lorsqu'il est dérouté.

Il le fait assez régulièrement maintenant qu'il est de retour dans l'active.

Et en tâtant son visage, il rencontre son nez.

Large, camus, épais.

Deux narines font comme l'ouverture de deux cavernes.

Et au dessous du nez, se trouve une bouche, fine, aux lèvres étroites.

L'inspecteur passe doucement ses doigts sur son visage.

Les lèvres, la bouche, le nez, les joues, le front.

Non, il n'est pas beau.

Dans ce monde, il porte un pantalon noir et une chemise blanche, avec parfois une veste de cuir.

Mais ses souvenirs lui montrent un inspecteur de police portant un uniforme bleu, à la fleur de lys et au col de cuir.

Il a une épée sur le côté et une matraque glissée dans une martingale.

Il a un sifflet et une tabatière en argent.

Sur sa tête se trouve un bicorne à la cocarde blanche.

Il a un commissariat quelque part dans Paris dans lequel il fait retentir sa voix.

Il est plus fait de souvenirs que de réalités.

Et tout à coup, il se rappelle !

Un déclic qui débloque un nouveau souvenir :

Sa voix hurlant dans le petit bureau vétuste de son commissariat :

" RIVETTE ! UN CAFE !"

Et son sergent lui répondant, empressé :

" Oui, inspecteur."

MERDE !

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