2. Complicité

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« Ô ami, je te prie,

De toute ma force, de tout mon esprit,

Ne me quitte pas,

Ne me trahis pas,

Moi homme maudit je suis vôtre,

Ô ami, je t'implore,

De toute ma force, de tout mon esprit,

Ne la rejette pas,

Ne l'abandonne pas,

Cette complicité qui est la nôtre. »

Complainte, Chronique du Temps perdu, Oracle du temple de Maâry

***

Un sentiment de vertige sonna Caleb puis se calmant il cala sa respiration sur celle de l'ange. Les yeux ouverts et des larmes pointant aux extrémités, le jeune homme s'obligea à les fermer. Absorbé dans ses pensées celui-ci ne reprit conscience quelques minutes plus tard alors que Doloriel s'était déjà posé sur la terre ferme.

Gêné il relâcha le haut de l'ange et regarda autour de lui. Il y avait une grande ouverture décorée de fines sculptures en forme de losanges et au-dessus de celle-ci une unique phrase sculptée dans une des plus belles écritures « l'Ordre et le Chaos amène à la Destruction et à la Création. », avait traduit la voix.

Tout autour de la structure s'étendait une grande terrasse en pierre grise et aux arches du même bleu que la tour, s'étendant de celle-ci au bord du belvédère.

Caleb poursuivit sa marche au côté de Doloriel au milieu de murmures et de bribes de paroles moqueuses trahissant des comportements hautains face à sa nature humaine. L'intérieur du bâtiment était construit en hauteur de sorte à ce que le vaste espace reste lumineux en faisant apparaître un hall ouvragé. Les fameuses fenêtres que l'on voyait sur la structure glacée étaient ornées de vitraux de couleurs représentant des fleurs et des plantes. Les murs étaient sculptés en forme de plantes sinueuses atteignant le plafond en dôme du vestibule, gravé de dentelles de fleurs et de perles. Derrière les sculptures de plantes de grands oiseaux colorés étaient peints.

- Quel âge a cette tour ? demanda-t-il dans son esprit.

- L'édifice en soi à plus de mille cinq cents ans mais ceci-dit la construction...

- La construction n'est pas finie. Pourquoi ?

La voix du vieil homme dans sa tête fut brusquement stoppée par Doloriel qui lui ordonna de ne plus rêvasser et d'accélérer le pas. Caleb se dépêcha de le rejoindre quand son guide s'arrêta net devant une porte d'ascenseur en bois brodé de filament de lumière en croisillon.

L'intérieur spacieux au parquet ciré pouvait accueillir plus de cinq personnes. Sur les murs de l'espace étaient placés des bancs noirs et de petits miroirs rectangulaires reflétant des flocons de diverses tailles. Doloriel qui avait trouvé un nouveau sujet de conversation continua de le sermonner comme on le ferait avec un enfant récalcitrant mais il s'était endormi.

Un jeune garçon aux cheveux brun ondulés courait après un autre en criant et en battant des bras. Le second enfant aux cheveux noirs accéléra sa course quand il se prit les pieds dans une motte de terre et tomba tête la première dans l'herbe moelleuse. La silhouette le rattrapa et se laissa tomber à ses côté. La douce voix de l'enfant sollicita alors plaintivement son compagnon :

- Caleb parle-moi, d'accord ?

Les épaules du jeune Caleb avaient commencé à trembler puis il se mit à sangloter. D'une voix déchirante à en faire pâlir les cœurs, il lui demanda :

- Pourquoi personne ne m'aime ? Je ne comprends pas. C'est parce que... Je suis un monstre ? Dis-moi... Aki... Dis-moi. Vaut-il la peine que je vive ? En ai-je le droit ?

Le dénommé Aki lui répondit les larmes aux yeux :

- Bien sûr que t'as le droit ! Tu es un être humain comme moi, comme nous, comme le monde entier ! Tu as le droit de vivre, de rire, de pleurer... Parce que moi j'ai besoin de toi et maman aussi...

L'enfant face à la détresse de son ami se releva, le prit dans ses bras et le berça lentement en entamant une douce mélodie de sa composition puis lui répondit d'une toute petite voix :

- D'accord ne pleure pas. Je suis désolé, ne pleure pas. Regarde j'ai arrêté de pleurer non ? Alors ne pleure pas. S'il te plaît. Je m'excuse alors ne...

- C'est bon, ça va, lui répondit Aki un petit sourire naissant sur les lèvres.

Puis celui-ci le contempla, lui prit ses joues tendres en coupe et lui baisa tendrement le front. Voyant les yeux de son ami encore embués de larmes scintillantes il lui dit d'une manière apaisante :

- Tu as les plus beaux yeux du monde. On dirait des perles brillantes et magnifiques venant du pays au-dessus des mers ! Ce sont des trésors. Alors ne meur pas ok ?

Le petit Caleb se jeta soudainement sur son ami et s'exclama un sourire resplendissant sur le visage :

- Aki je t'aime !

Tous deux tombèrent sur le sol et des rires de joie se firent entendre. Le tableau était très mignon, deux garçonnets positionnés sur le dos se tenant la main en riant et, autour d'eux, des arbres aux feuilles vertes (des pruniers pour être exact) se balançant au gré du vent sur les bords d'un champ à l'herbe verte et à la lumière du soleil resplendissant.

Les larmes aux yeux Caleb se réveilla en sursaut avant que la voix grave de Doloriel ne lui parvienne. Inquisiteur celui-ci n'arrêtait pas de lui poser telle ou telle question de sorte à ce que Caleb n'en puisse plus :

- Non je n'écoutais pas. Oui je me suis endormi tu aurais dû le voir ? Ah oui j'avais oublié, tu ne m'écouteras pas. D'ailleurs veux-tu un conseil ? Sérieusement, écoute d'abord les personnes si tu veux qu'elles te répondent.

Sans voix par la réplique cinglante du jeune homme, l'ange haussa les sourcils. Sa réaction fit lâcher à Caleb un petit rire caustique lorsqu'une voix cinétique indiqua l'arrivée de l'ascenseur. Recomposant rapidement son visage Doloriel sortit de l'élévateur grommelant quelques insultes toutes plus colorées les unes que les autres. Au bout d'un moment, il se stoppa subitement devant une massive porte en bois gardée par deux anges aux vêtements noirs.

Les gardes enlevèrent leurs hallebardes et ouvrirent la porte qui se referma sur eux. Intrigué Caleb admira la pièce. Elle était assez grande pour admettre au moins deux cent personne lors d'une réception ou d'un salon. Le sol était fait d'un mélange étrange de bois et de pierre. De grandes tentures de taffetas colorées tapissaient les murs comme pour les réchauffer. Çà et là, sur des meubles en bois de vénétrier, de gros vases antiques en terre cuite. De petits portraits reposaient sur quatre cloisons grillagées près des tapisseries donnant un sentiment d'opulence à la salle. Au milieu de celle-ci, espacé d'une largeur tout à fait acceptable, était positionné quelques colonnes sculptées presque torsadées de part et d'autre formant une allée menant à des escaliers protégés par un tissu de velours posé comme un petit manteau. Au bout, un trône matelassé en velours vert émeraude. Un léger rire arracha Caleb à sa contemplation, rompant ainsi le silence qui s'était installé dans le grand espace.

Le livre du Temps : les larmes de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant