1. Un lieu particulier

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« Une vie, une mort

Sa mort, sa vie

Une envie, un mépris

Son envie, son mépris

Monstre ou humain ?

Réalité ou fiction ? »

Le livre des Mensonges et Vérités, Elakhiel

***

La question qu'il s'était toujours posée était sur la bonne façon de mourir. Décéder d'une bonne et douce mort dans la vieillesse au côté de sa famille ou périr héroïquement pour une noble cause ? Malheureusement Caleb n'avait pas eu la chance de trouver la réponse puisqu'il s'était subitement retrouvé plongé dans le noir sans pouvoir entendre ni voir. Bien sûr, son décès n'avait rien d'un accident, un assassinat ou encore un suicide au contraire. Pour les gens comme lui, appelés « enfants maudits » par une grande majorité à cause de leurs différences physiques, au jeune âge de dix-huit ans, il avait été confronté comme beaucoup de ses prédécesseurs à une vérité pour le moins terrible : celle de sa propre fin. Vous voyez-vous à dix-huit ans, parce que vous n'êtes pas comme les autres, à faire face à la vôtre ? Encore plus terrible que cette nouvelle, c'est que celle-ci était programmée par la famille.

Pour Caleb c'était la couleur inhabituelle de ses yeux qui avait décidé de son destin. Cette programmation était inscrite dans les textes de lois et existait depuis quelques décennies. En revenant à cela, on lui avait toujours dit que c'était une malédiction, un péché et de la pire des manières. On perd notre naïveté avec toutes ces brimades, ces rejets et en grandissant le jeune homme avait compris une horrible vérité.

Le monde n'était pas rose, la gentillesse n'existait pas ou du moins c'est ce que les gens voulaient faire croire. Le monde était cruel et ces gens qui se disaient humains n'étaient pas mieux. Celui dans lequel il vivait était un cauchemar. Des hommes, des femmes, des enfants tous ensemble se moquant, persécutant des hommes, des femmes, des enfants pourtant comme eux : humains.

Ce n'étaient pas eux les enfants maudits, les monstres, c'étaient eux les bizarreries. Ces horripilants et sardoniques rires qu'ils entendaient tous les jours pendant des mois, des années, quand eux humains étranges aux yeux des autres essayaient non pas de vivre, juste de survivre. C'était cela le plus difficile. Ils essayaient de s'échapper, mais face à la mort qui pouvait gagner ? Cette haine pour des couleurs d'yeux, de cheveux ou encore des membres en plus n'entrant pas dans la norme était devenue viscérale. Mais au fond qu'est-ce que la normalité ? Voici une autre question pour laquelle Caleb n'avait pas pu encore avoir de réponse. C'était un mystère, une interrogation à laquelle il ne pourrait peut-être pas répondre.

Dans tous les cas à dix-huit ans, le voici face à cette lettre. Cette missive écrite par ce gouvernement corrompu imposant une entrevue dans la forteresse de contrôle la plus près de chez lui. S'il désobéissait, de fortes représailles les attendaient. Et personne n'avait jamais essayé de ne pas s'y rendre.

***

Une douce brise caressa le visage du jeune homme étendu au milieu d'un espace vide. Son corps frissonna. Il ouvrit les yeux mais il ne distingua rien comme si on l'avait enfermé dans un tube. Il se leva difficilement au son d'un éclat de rire, une hallucination auditive sans doute, puis commença lentement à marcher sans trop comprendre le lieu de son réveil, ni sans se poser trop de question sur son non-décès. En regardant son visage calme, on pourrait penser que rien ne le dérangerait, mais le pli de ses lèvres fit transparaître son malaise.

Au fur et à mesure que l'homme marchait, l'atmosphère autour de lui se fit plus chaude et la noirceur qui s'étalait sur des kilomètres commença graduellement à s'éclairer. Le sol au début noir se changea en un fuchsia clair pour se teindre en un rouge sang effrayant qui fit osciller ses jambes. Le ciel se transforma en un bleu marine hypnotique paré de deux cercles pleins opalins, leurs teintes donnant une terrible sensation glacée. La végétation clairsemée de la lande formait avec leurs ombres d'obscures silhouettes à forme humaine et le vent que l'on pouvait entendre bruissait à travers celle-ci. Ses pas se firent plus lourds comme si un poids le pressait vers le sol et alors qu'il commençait à s'essouffler une vieille voix se fit entendre. L'homme s'arrêta un moment cherchant la provenance de celle-ci quand elle l'appela une seconde fois par son nom. Intrigué Caleb demanda à voix haute :

Le livre du Temps : les larmes de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant