15. Les Larmes

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Vengeance aveugle, amour étrange,

Enfant né de la Chair, enfant né des Larmes

Amour des Cartes, vengeance de la Vie

Passé, présent, futur entrelacé

Viendra alors le temps,

Âmes perdues...

Aideras-tu ?

Poème à l'intention de Anonyme, Les Temps oubliés

***

Bureau d'Adonaï, Tour de Babel, Monde Inhumain

Lorsque Caleb entra dans le bureau de Sa Très Bordélique Divinité, le démon Samaël et celle-ci discutaient activement. Surpris par la présence de Samaël, il s'arrêta un instant puis se rapprocha sans faire un bruit des deux hommes.

- Quelque chose ne va pas ? demanda-t-il.

Adonaï et Samaël s'arrêtèrent net de parler, étonnés par la soudaine présence de l'humain. Leur confusion ne dura qu'un instant avant qu'Adonaï ne prenne la parole en le regardant dans les yeux :

- Des troubles m'ont été rapportés, dans la région de Jin'hao. J'ai une mission à vous confier...

- Et d'aller y jeter un œil. Exact ? finit Caleb se doutant bien de la fin de la réponse du Dieu après avoir réfléchi mainte fois durant son repos.

La Toute-Puissante Déité acquiesça. Prenant une respiration, il fut, hélas, coupé par la voix unique de Samaël :

- Je t'accompagnerais donc, finalisa le démon d'un air grave.

Sa belle voix ainsi que son regard empli d'un sérieux que Caleb ne comprenait qu'à moitié firent monter un doux frisson le long de sa colonne vertébrale.

Déstabilisé par ce regard, il détourna subitement les yeux. L'œillade que Samaël lui avait lancée l'espace d'un instant l'avait fait se figer un instant pour se détendre rapidement l'instant d'après.

- Vous partirez demain, préparez le nécessaire. Et Caleb ?

L'interpellé lui jeta un œil dans l'expectative,

- Un nouvel ensemble de vêtements a été préparé, fini par la déité en le congédiant.

Caleb hocha la tête n'ayant rien à dire de plus et se dirigea vers la porte, mais avant qu'il ne puisse l'atteindre ses jambes le quittèrent et il se retrouva affalé sur le sofa du bureau. Regardant derrière lui, Caleb vit que les deux êtres s'étaient replongés dans une longue conversation, ne prêtant aucun intérêt à ce qui lui arrivait.

Ce qui l'avait fait s'affaisser, était une force inconnue comme celle qui l'avait pris par surprise lors de son arrivée. Et la vieille voix râpeuse d'Alew qui avait disparu depuis quelques jours avait refait surface, surprenant Caleb.

- As-tu déjà entendu parler du clan des Larmes ? Ah oui, suis-je bête, tu n'es pas de ce monde, dit Alew le ton à peine voilé de mépris que Caleb ne lui reconnaissait pas.

L'ancien ne lui laissa place à aucune réplique et continua sa diatribe. Je savais que je ne pouvais faire confiance à personne. Caleb que diable ! se dit-il en écoutant l'homme.

- Le Clan quand j'y pense me rappelle bien des souvenirs, dit-il un sourire mauvais non sans une pointe de fierté mal venue.

Ce n'était pas la première fois que Caleb ressentait une arrogance provenant des personnes qu'il avait croisées. Mais une avec une telle malveillance ! Peut-être.

De toute façon, aucun intérêt à s'en souvenir. Écoutons ce vieux croûton, pensa-t-il

- Nous étions les Larmes, un clan de guerriers fiers et puissants ! Créé il y a de ça neuf-cents millénaires par Eraïm, érudit et fier combattant choisi par Dieu lui-même ! Quel honneur que c'était ! Après sa mort, je fus choisi. Moi ! Celui qui devait depuis le début devenir l'unique patriarche, invectiva le fol Allew. Mais je m'égare. Malheureusement (et bien sûr), ce ne fut pas de ma faute, rajouta-t-il, cet empire fut instantanément détruit par l'arrogance de certains, de ces cruels énergumènes en pactisant avec l'enfant de la Lune et du chaos : Apophyse lors de l'Apcalypsüs., pour faire disparaître l'arbre de la vie. Quelle tristesse ! Ces pauvres idiots..., décrit Alew avec dédain.

Il est complètement fou ! devina Caleb avec dégoût. Faire des recherches moins prises à parti serait nettement mieux que d'écouter ses divagations. Allew reprit avec répulsion:

- Par la faute de ces glapyrs* sans nom, je fus tué, deux pieux plantés en plein cœur. Une rivière de sang, des jambes déchiquetées, une tête écrasée, des corps rongés par l'acide. Quelle vision d'horreur ce fut ! finit-il une lumière de plaisir sadique dans sa voix. Mais quel dommage, Dieu plongé dans une rage folle n'avait pas pu se contenir et avait occis cette merv... monstruosité... C'était de sa faute !

- Assez ! cria intérieurement Caleb prit d'une envie de vomir.

Il s'efforça de se lever du sofa, mais ses jambes lâchèrent une seconde fois ces traîtresses. Samaël alerté par le cri s'était mû vers Caleb et l'avait attrapé par les hanches avant que ses genoux ne touchent le sol. La force de ses bras avait donné à celui-ci une chaleur qui resta quelques instants avant de disparaître comme si elle n'avait jamais existé. En arrière-plan, Sa Sérieuse Divinité regardait froidement la scène, ses pensées inconnues.

- Votre étreinte est terminée les tourtereaux ? demanda sa Ricanante Déité en pinçant ses lèvres en une ligne étroite.

Les cils de Caleb papillonnèrent un instant, avant qu'il ne comprenne les paroles de Sa Très Joueuse Divinité et repoussa le démon comme si ces bras l'avaient brûlé. Gênés, ils hochèrent la tête.

- Bien, avant que vous partiez, une dernière chose. Mickaël vous accompagnera.

Hochant la tête une seconde fois, Caleb se retourna vers la porte comme pour fuir le bureau et

ses occupants. Adonaï l'interpella juste avant qu'il ne referme la porte derrière lui :

- Caleb, fais attention. J'ai un mauvais pressentiment...

Dans les couloirs de la tour d'un bleu glacier, Caleb se dirigea vers le jardin pour aller rendre visite à Han. Au cours de ces dernières semaines, Han et Caleb avaient trouvé des émotions complémentaires, une tristesse d'âme et la même rancœur de cœur. Avec ça, le jeune prophète aveugle était rapidement devenu son confident grâce à la haine qu'ils partageaient tous deux pour leurs yeux.

Au premier abord, Han lui avait semblé du genre timide, mais c'était en fait un homme plutôt calme qui cependant cachait un esprit plus fort que quiconque. Contrairement au mien, estima Caleb. Han ne s'était pas encore confié, mais Caleb attendrait, lui avait-il dit. Pour eux deux, ce n'était pas encore le moment. Mais bientôt, songea-t-il avec une confiance qu'il ne reconnaissait pas.

Arrivé devant la maisonnette de la personne qu'il pourrait appeler ami, il entra. Plongés dans leur propre discussion, ils restèrent jusqu'à tard dans la nuit à bavarder autour d'une tisane apaisante. Avant qu'il ne parte, Han l'interpella comme Dieu l'après-midi même et mystérieusement lui dit :

- « Bas l'envie, vois le présent, vois l'avenir » que Ludvaetyr te garde, Cal.

Caleb garda les mots en tête ne comprenant pas encore ce qu'ils voulaient dire. Entré dans sa chambre, il ne prit pas la peine d'enlever ses vêtements et s'endormit dès qu'il toucha l'oreiller. Si vite qu'il ne vit pas l'ombre d'un renard s'approcher de lui comme pour le protéger du regard vicieux et obsédé d'une silhouette derrière le grand miroir ornemental de la chambre. Voyant ce gardien pelucheux terrifiant, la silhouette s'effaça.

***

*Glapyrs: insulte que l'on emploi en parlant d'une personne comme merde ou bouseux

Le livre du Temps : les larmes de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant