13. Survivance déchirante

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« Article 9-10 : Tous les enfants nés avec un ou plusieurs membres et/ou une autre couleur de cheveux et d'yeux tels que rose, bleu, blanc... doivent être sujets à une mort programmée avant les trente ans et après les dix-huit ans.


Article 9-11 : Tous enfants de plus de dix-huit quels qu'ils soient, se verront informés de la vérité sur la mort programmée. Article : 11-04 : Tuer toutes personnes faisant partie des "enfants maudits" avant leurs dix-huit ans révolus est passible de peine de mort. »


Lois sur la mort programmée, Partie I

***

Ahès, (monde humain,) année 3028, 30e année du règne de l'empereur Alphée de Alh II

C'était une matinée comme les autres. Ce jour-là, le soleil brillait haut dans le ciel, la ville qui venait tout juste de s'éveiller portait le signe d'une journée lumineuse. Cependant, malgré cette effervescence matinale, dans une petite maison aux murs gris métallique, un homme, la tête penchée, fixait le sol sans un mot. Seule la lueur vengeresse dans ses yeux trahissait son calme extérieur. Plongé dans ses pensées, il ressassa toutes les réminiscences bonnes comme mauvaises qui lui rappelaient une des personnes les plus importantes de son monde. La plus claire survivance qu'Aki avait de son ami était la plus belle et pourtant les plus horribles étaient celles qui hantaient le plus ses rêves.

Un des plus vifs tragiques souvenirs lui revenant à l'esprit était celui d'un jour lumineux. C'était une très belle journée, le soleil brillait doucement sur la grande ville d'Ahès. Malheureusement, le jour qui devait être pour le moins réussi devint tout aussi pourri de l'intérieur que la capitale et ses habitants. À ce moment-là, Aki, petit garçon aux cheveux bouclés, se dirigeait comme presque tous les matins vers les magnifiques jardins de la famille de son frère de cœur. Joyeusement, il imagina ce qu'il pourrait bien faire avec celui-ci, lorsque des cris de détresse se firent entendre perturbant la paix intérieure du parc. Ada, sa mère qui le suivait depuis le début se précipita à la suite de son fils vers les hurlements.


La scène qui les accueillit les figea d'effroi. Une femme, les cheveux dénoués, appuyait avec force sur une petite tête brune, l'enfant se débattait avec acharnement, mais sa force enfantine commençait à s'épuiser. Ada qui n'était pas en reste, s'était précipitée vers la femme et avait essayé tant bien que mal de lui faire lâcher prise. Voyant que cela ne marchait pas, Ada depuis qu'elle connaissait Caleb et ses parents, repoussa avec une force insoupçonnée la femme qui tomba à la renverse, due à sa position à genoux. Elle réussit à faire remonter le petit corps inconscient sur la rive. Entre-temps Aki était revenu avec le docteur que sa mère lui avait commandé de faire venir dans l'urgence. Cet incident fut le premier d'une série de plusieurs autres. Ce ne fut pas la dernière fois qu'Aki avait vu son ami avec le teint d'un cadavre et couvert de cicatrices. Effectivement, cinq ans plus tard quand les deux amis eurent treize ans, la mère de Caleb réitéra pour la septième fois une tentative de meurtre sur son fils. Cette fois-là, cette folle s'était introduite dans la chambre de Caleb lorsqu'il dormait et lui avait jeté un produit hautement corrosif, lui causant d'horribles stigmates. Malheureusement ou heureusement pour Caleb, ce liquide n'avait touché qu'une infime partie de sa peau. Et une fois de plus, Ada l'avait sauvé de ce monstre, alertée par ses cris.


Au fur et à mesure qu'ils grandissaient, les blessures se firent de plus en plus rares, mais les harcèlements se succédèrent. Et lorsqu'ils eurent tous deux dix-huit ans, enfin majeurs, ils surent ce qu'il se passait pour tous ceux appelés enfants maudits. Effectivement, sous les ordres du père de Caleb, sa mère avait arrêté de s'en occuper et la nouvelle de sa mort dix ans plus tard l'avait rempli d'un immense sentiment d'accomplissement.


Ce fut un horrible choc pour Aki. Moins pour Caleb qui s'y était déjà préparé depuis qu'il avait surpris une énième dispute entre ses parents, peu après la deuxième agression de sa folle de mère comme il aimait sarcastiquement se moquer d'elle. Grâce à Ada, sa nourrice et mère de cœur, il avait pu repousser sa mort de quelques années. À condition que Caleb quitte cette immense maison dont il n'avait que d'affreux souvenirs. Dix années étaient passées en un clin d'œil entre joies et désagréments. Puis lorsque Caleb eut enfin vingt-huit ans, il s'en alla sans un mot rejoindre la tour grise, le bâtiment de recherche qui devait lui donner la mort. Aki qui ne s'était pas du tout attendu à ce que son cher frère et ami le quitte si soudainement, s'enferma pour faire le deuil. 

Pendant son isolement, Aki s'était souvenu d'une des phrases inintelligibles de son acerbe et renfermé Caleb. L'acceptation de la fin de son cher partenaire, lui avait pris beaucoup de son temps et de son énergie. Ce n'est que deux ans après sa perte qu'Aki sortit enfin du silence dans lequel il se trouvait. Cette tristesse qu'il ressentait s'était peu à peu mue en une féroce animosité contre le pouvoir en place et cette abominable constitution.

Un autre souvenir lui revenait d'ailleurs beaucoup en tête. C'était, il lui semblait un jour pluvieux, Caleb et lui étaient restés enfermé dans l'appartement qu'ils louaient. Son ami, affecté par le sale temps et des pensées, dont Aki n'avait alors aucune idée, était tombé un instant dans un état de morosité.


Et d'une manière détournée que seuls les deux compagnons pouvaient comprendre, Caleb lui avait appris qu'il avait rejoint l'Aÿad. Malheureusement, lorsque Aki avait voulu en savoir plus, il s'était heurté à un mur de pierre. Ce souvenir vivace lui était revenu durant la période de son deuil.


« Aÿad » était devenu pour lui un mot porteur d'espoir, une formule presque magique. Seule une question sans réponse subsistait. Quel était son sens ? La dernière phrase de son si précieux Caleb lui revint alors. Je ne sais quand, je ne sais où, ILS viendront à toi, lui avait-il dit de son si mystérieux regard. Cette même phrase devint ainsi son plus précieux mémento.

Le livre du Temps : les larmes de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant