Chapitre 10

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PDV Tawny 

Un mois. Cela fait bientôt un mois que j'attends. Je suis perdue. J'ai tout perdu. Esseulée et apeurée dans l'ombre de ma mélancolie. Triste et fragilisée dans les ténèbres de ma vie. Je suis perdue. Pourquoi moi ? Je suis pourtant une fille comme les autres. Une gamine banale. Peut-être plus intelligente que la norme. Peut-être plus débrouillarde. Mais je n'en reste pas moins une gamine banale. Une chose comme une autre.  

Remplaçable.  

Éphémère.  

Anonyme.  

Mais surtout et avant tout minuscule.
 
Minuscule petite chose dans ce monde de géants et d'ogres. Je veux juste ma Maman. Pouvoir sentir son parfum, voir son magnifique sourire, me fondre dans ses étreintes... Je veux juste ma Maman avant de partir. Lui murmurer mon plus doux secret au creux de l'oreille. Comme une promesse cristalline. Celle de mon amour pour elle. Je veux juste ma Maman...

C'est drôle, je ne la connais que depuis un mois, et elle a déjà eu le temps de réparer un truc brisé en moi. Vous savez, ce truc. Le truc.  

Vide. On y revient. Le vide. Toujours ce vide. Causé par la mère de la vie. L'ange de minuit. Le colosse de l'ombre. La mort. La mort est toujours là... Elle vous attire, elle rôde près de vous, resserre son étau autour de votre gorge... La sentez-vous ? Elle est là, elle vous étouffe, prend votre dernier souffle...La mort est là. Sauf pour moi. 

Oui, sauf pour moi. Je la prie chaque nuit d'abréger mes douleurs, de prendre mon âme au creux de ses mains, et de m'emmener au ciel. Le ciel. La nouvelle maison d'Antoschka. Comme la mort doit être belle ! L'absence de temps, de douleur et de vie. Comme la mort doit être belle ! Mais elle ne veut pas de moi. Je suis condamnée. 
À quoi bon tailler des arbres sur tout mon corps ? 
À quoi bon laisser mon estomac gronder de famine ? 
À quoi bon m'efforcer à vivre ? 
Puisque même la mort ne veut de moi. 

*** 

Ce jour-là, après que Maman soit partie, l'Oncle Lev m'avait pratiquement battue à mort pour avoir fugué. Ensuite, trou noir. Je ne me souviens pas de ce qu'il m'a fait, et ce n'est pas plus mal. Les jours qui avaient suivi, il m'avait violée, battue, entraînée et forcée à danser pour lui. Je me sentais de plus en plus mal dans mon corps, alors aujourd’hui j’ai tenté quelque chose de nouveau. Je me suis scarifiée. J’ai probablement vu des gens le faire à la télé, je ne sais pas vraiment, mais cela ne m’a pas aidé. Sur le coup cela ne m’a pas fait mal, j’ai presque eu l’impression que ça me faisait du bien. Comme si ces coupures me lavaient de mes douleurs et de ma honte. Mais quelques minutes après, quand j’ai vu tout le sang qui m’entourait, j’ai pris peur. Les entailles ont commencé à me bruler, et le sang ne s’arrêtait pas de couler. Je me suis débrouillée pour cacher tout ce carnage à l’Oncle Lev. Là, je suis actuellement dans ma chambre, en face du miroir. J’essaye de refaire mes bandages, mais c’est une vraie galère. Je fais tout ce que je peux pour ne pas me regarder. Je ne veux pas voir le monstre qu’il a fait de moi. Je sais que j’ai perdu un peu de poids, et que je dois avoir d’énormes cernes. Je ne dors plus beaucoup. J’ai bien trop peur qu’il ne me rejoigne la nuit. Je ne veux pas. Je voudrais tout oublier.  

Maman va bientôt arriver. On est samedi, et elle vient chaque samedi, sans faute. C’est pour cela qu’Oncle Lev évite de me frapper à partir de mercredi. A la place, il m’entraine des heures durant. Je danse, je danse et je danse... Je ne peux pas m’arrêter. Même quand mes chaussons son trempés de mon sang. Même quand mes muscles se crispent. Je danse, je danse et je danse... Et je ne peux pas m’arrêter. 

Dès qu’il tourne le dos, je me réfugie dans mon monde. Je m’isole, et je regarde mes trésors les plus précieux. Mes photos, mes souvenirs, Antoschka... Je m’accroche désespérément au passé. Parfois, quand je me sens trop seule, je parle à Elyon. 

Tempus Fugit - Tawny RomanoffOù les histoires vivent. Découvrez maintenant