1 - Tout recommencer

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JANVIER 2016


Je suis arrivée à Marseille en janvier 2016, j'avais 20 ans. Les fêtes de fin d'année avaient été un calvaire et, autour d'une galette des rois, j'ai annoncé à mes parents et mes sœurs que j'arrêtais mes études et que je partais. Leur incompréhension a été à la hauteur de leur surprise. Les larmes et les cris de ma mère ne m'ont pas fait pas changer d'avis. Je suis partie une semaine après, sans avoir prévenu mes amis. Mon père m'a accompagnée à la gare, les au revoir étaient douloureux mais bien nécessaires. Mon papa l'avait compris et c'était bien le seul.


Je n'ai pas pris cette décision à la légère. Je l'avais mûrement réfléchie. Rester en Bretagne était impossible, je suffoquais. Là-bas, tout me le rappelait. Quelques mois auparavant, j'avais vécu l'épreuve la plus douloureuse de ma vie. L'amour de ma vie avait péri dans un accident de voiture. Je l'avais rencontré, j'avais 16 ans. Mon âme-sœur, ma parfaite complémentarité. Il était tout ce que je n'étais pas mais en même temps me ressemblait tellement. Il était clair que j'allais faire ma vie avec lui, me marier avec lui, faire des enfants avec lui, vieillir avec lui et mourir paisiblement à ses côtés. Il n'y avait pas d'autres alternatives possibles. Mais le destin en a décidé autrement. A sa mort, je suis tombée. Ma vie s'est écroulée, et tous mes plans pour le futur avec. Un vide immense s'est peu à peu glissé dans mon cœur. Sans lui, ma vie n'avait aucun intérêt à être vécue. J'en ai voulu à la terre entière. Mes amis n'ont pas compris, je me suis éloignée d'eux petit à petit alors qu'ils auraient aimé que je reste, ils auraient aimé qu'on soit malheureux ensemble. Mais je ne voulais pas être malheureuse avec eux parce qu'aucun d'entre eux n'était malheureux comme moi je l'étais. Je ne voulais pas être malheureuse avec eux parce qu'ils étaient en vie et lui non.


Rapidement après le drame, ma mère m'a envoyée chez un psy. Mais cela ne m'a pas permis de guérir et encore moins de faire mon deuil. Plus les jours et les semaines passaient, plus j'étais triste et moins j'avais envie de vivre. C'était inédit chez moi, j'ai toujours fait preuve d'une certaine force de caractère face aux épreuves de la vie. Mais c'était trop dur, trop insurmontable pour moi. J'étouffais dans les lieux qui m'avaient vu grandir, je ne supportais plus la présence de ceux qui m'avaient toujours connu. Tout me ramenait à lui. Il me paraissait vital de fuir si je ne voulais pas sombrer définitivement. Partir c'était mon seul moyen de survivre. Et je devais fuir loin. Pourquoi Marseille ? Encore aujourd'hui, je ne sais pas ce qui a fait pencher la balance pour la cité phocéenne. C'était loin de chez moi, certes, mais j'aurais tout aussi bien pu partir à Strasbourg ou Toulouse.


Quand je suis sortie du train, à la gare Saint-Charles, je me souviens du soleil qui m'a ébloui. La douceur de la température pour un mois de janvier m'a réchauffé le cœur. Je ne savais pas dans quoi je m'engageais, la peur et le stress me creusaient l'estomac. Les premiers jours à Marseille n'ont pas été de tout repos. J'ai loué une chambre dans un hôtel miteux et j'ai rapidement chercher du travail. Il me paraissait impossible de reprendre des études malgré l'avenir brillant qui m'était pourtant destiné à écouter ma mère. Je voulais rentrer dans une routine si prenante qu'elle m'empêcherait de penser à autre chose que métro, boulot, dodo. J'ai trouvé un emploi de serveuse dans un bar/restaurant sur les hauteurs de Marseille, pas très loin des quartiers Nord. Le patron de l'établissement, que tout le monde appelle Tonton, ne m'avait demandé aucune explication sur mon déménagement à Marseille. Il a très vite compris que j'essayais d'échapper à quelque chose ou quelqu'un. Tonton devait avoir une cinquantaine d'années. Grand et costaud, il avait le visage dur et tanné par le soleil. J'ai vite compris qu'il ne fallait pas l'emmerder. Il avait repris le restaurant de son père, que tout le monde appelait Papy. Un vieux monsieur, avec un accent à couper au couteau et un caractère bien trempé. Il n'avait pas la langue dans sa poche. Même si le restaurant ne lui appartenait plus, il aimait y venir et commenter tous nos faits et gestes. Je travaillais en binôme avec Olivia, la nièce de Tonton. Hyperactive, elle avait un tempérament de feu. Elle n'était pas très grande et avait un visage de poupée. Ses longs cheveux bruns étaient toujours attachés en queue de cheval. Le courant est rapidement passé entre nous et nous ne nous sommes jamais quittés depuis.


Ce travail me plaisait. Les horaires décalés me permettaient d'avoir des journées à rallonge qui m'occupaient l'esprit et me fatiguaient. Je tombais rapidement de fatigue le soir et cela m'allait très bien car je ne laissais pas le temps à mon esprit de divaguer avant de m'endormir. La journée, j'aidais Tonton dans sa gestion administrative. Je me sentais bien avec Tonton et Olivia. Ils ont tout de suite été très bienveillants avec moi. Malgré son esprit critique et contradictoire, j'appréciais aussi les visites de Papy au restaurant. Il avait un côté rassurant. Je savais qu'ils se doutaient que je n'allais pas très bien dans ma tête et essayaient toujours de me faire sourire. Malgré mes journées bien chargées, mes nuits n'étaient pas toujours paisibles. Je me réveillais souvent en pleine nuit, le souffle court et avec la nausée. La mort de mon petit-ami venait souvent me hanter dans mes rêves. Les matins où j'arrivais au travail avec une tête de trois mètres de long, les yeux gonflés à cause des larmes, je voyais souvent Tonton et Olivia se lancer des regards entendus. Mais ils ne disaient rien et agissaient comme si de rien n'était, et c'est ça qui me plaisait. Rapidement, j'ai loué un petit studio, près du restaurant. Je trouvais un nouvel équilibre, loin des souvenirs douloureux. J'avais souvent l'impression d'être dans un univers parallèle, de vivre une vie qui n'était pas vraiment la mienne et qu'à tout moment j'allais rentrer en Bretagne le retrouver. Cette impression était à double tranchant, elle m'aidait car j'avais l'impression que ce que je vivais n'était pas vraiment réel et donc que ma souffrance ne l'était pas non plus. Mais le revers était brutal, car quand je réalisais que c'était bien cela ma vie maintenant, je dégringolais de 15 étages. Mais je m'accrochais, je voulais surmonter tout ça. 

ScélératOù les histoires vivent. Découvrez maintenant