32 - Docteur Solomons

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MARS 2019


 Romy, pourquoi êtes-vous là ?

 Pardon ? Ai-je demandé en plantant mon regard dans celui du psychologue que je voyais depuis plusieurs semaines.

 Nous nous voyons depuis quoi ? Trois semaines ? Demanda-t-il en ajustant ses lunettes en demi-lune. Trois semaines et je ne sais toujours pas pourquoi vous êtes là.

 Je vous ai raconté toute ma vie Docteur Solomons ! Me suis-je offusquée.

 D'accord, vous avez grandi proche de votre grand-mère, et alors ? Vous avez toujours eu les mêmes amis, et alors ? Vous avez perdu l'amour de votre vie, et alors ?


Je sentais mon sang bouillir en écoutant ce docteur au style un peu loufoque. Il m'avait été recommandé par Sabine, la femme de David, mais je commençais à douter de ses compétences.


 Je comprends pas ce que vous voulez que je vous dise ! Me suis-je agacée.

 Ce que je veux Romy, précisément, c'est connaître pourquoi vous êtes là ? Qu'est-ce qui a fait qu'un beau matin vous avez pris votre téléphone et vous avez appelé ma secrétaire pour prendre rendez-vous ? A-t-il demandé sans prendre son calme.


Je suis restée silencieuse. Je m'étais décidée à prendre rendez-vous un matin, effectivement. La veille, Sana est venue récupérer Omar chez moi, sa nounou était malade alors j'avais fait du télétravail pour le garde. A sa tête, j'ai senti la mauvaise nouvelle arrivée. Et en effet, elle m'a annoncé que Julien avait une copine. J'ai fait comme si c'était normal que Julien ait une copine. Parce qu'après tout, c'était normal. C'est moi qui avait tout arrêté, qui avait fermé la porte à ce que ça aille plus loin lui et moi. Mais les regrets qui avaient pris possession de mon cerveau le soir où Julien avait mis les pieds dans mon appartement pour la dernière fois n'avaient pas disparu. Au contraire. Et savoir que Julien continuait à avancer là où moi j'étais bloquée m'a brisé le cœur. Moi aussi je voulais aller de l'avant. Alors j'ai pris mon téléphone le lendemain et j'ai pris ce foutu rendez-vous chez le psychologue.


 Je suis bloquée, ai-je dit doucement au docteur, je suis bloquée mais je veux avancer.

 On y arrive. A-t-il en levant les bras au ciel. Première question, ou êtes-vous bloquée ?

 Je ne sais pas.

 Il va nous falloir une réponse pour répondre à la deuxième question, vers où voulez-vous avancer.

 J'ai peur. Ai-je avoué à demi-mot.


Je suis sortie du rendez-vous épuisée. Ce docteur un peu excentrique m'avait fait parlé pendant plus d'une heure et demie. J'avais mis des mots sur ce que je ressentais depuis plusieurs années et étonnamment, ça m'avait fait du bien. J'avais l'impression d'y voir un peu plus clair. Mais ça m'avait demandé une grande énergie, et je me sentais vidée.

J'ai appelé ma mère. C'était rare que ce soit moi qui l'appelle. Elle ne me laissait jamais le temps de le faire, elle appelait toujours la première. Elle avait d'ailleurs tenté de le faire plus tôt dans la journée, mais je n'avais pas pu répondre, trop occupée par le travail. Il était tard, je devinais qu'elle serait dans son lit, avec une tasse de thé et un livre.


 Romy, ma chérie, ça va ? A-t-elle demandé presque inquiète.

 Oui ça va Maman, ça va. Ai-je répondu en souriant. Je te dérange pas ?

 Non, du tout. Je suis au lit et mon livre n'est pas terrible. A-t-elle dit en souriant à son tour.

 Mince. Ai-je répondu en laissant échapper un rire parce que je savais qu'elle mentait. Je t'embête pas longtemps, je voulais juste te dire que..., je cherchais mes mots, que je vais voir un psy. Depuis quelque temps. Et que je crois que j'ai quelques pistes pour aller vraiment mieux. Ai-je ajouté en insistant sur le vraiment.

 D'accord. A-t-elle dit perplexe. C'est bien, très bien même. Je suis heureuse pour toi. Je suis sûre que tu vas y arriver.

 J'espère Maman, j'espère. Tu pourras le dire à Papa, il sera content aussi. Ai-je dit en pensant à toutes les fois où mon père m'avait mis en garde.

 Bien sûr ma chérie, bien sûr. Et qu'est-ce qui t'a poussé à faire ça maintenant ? M'a-t-elle demandé avec un sourire en coin que je pouvais deviner.

 Une longue histoire Maman, trop longue pour ce soir.

 Toi, tu caches quelque chose à ta Maman, je sais bien ! S'est-elle empressée de dire. Mais c'est pas grave, je finirais par le savoir. Maman sait toujours tout, Romy, tu le sais bien. A-t-elle dit en riant.


J'ai ri à mon tour et nous avons raccroché. Ma mère adorait me parler comme si j'avais encore 5 ans. J'avais envie de crier à la terre entière que j'avais trouvé un début de solution à tous mes problèmes. J'avais eu envie de le dire à ma mère en premier, elle qui s'était tellement inquiétée pour moi ces trois dernières années. J'avais envie de le dire à mon père ensuite, mais je préférais que ce soit ma mère qui le fasse. Je n'avais pas envie de l'entendre me dire qu'il avait raison, qu'il y avait quelque chose de plus profond et que j'aurais pu le faire plus tôt. Et ensuite, j'ai eu envie de le dire à Julien. Mais je ne pouvais pas, pas de retour en arrière, avait-il dit. Et puis, il avait une copine, plutôt gentille d'après Sana. Mon cœur s'est serré à cette pensée. 

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