Chapitre 3 - Iris

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* Iris*

Je sortis de l'hôpital en pleurs et décidai de marcher pour éclaircir mes idées. Je n'avais aucune envie d'appeler ma maman, elle devait déjà être au courant et je n'avais pas le courage de supporter sa peine. J'avais déjà du mal à supporter la mienne.

C'était lâche, je le sais. Mais c'était trop tôt.  Des flots de souvenirs m'assaillirent et je nous revoyais encore, mon frère et moi à huit ans, sur la plage. Maman lisait un magazine pendant qu'on se jetait du sable en lançant des sorts à l'aide de bâtons en bois trouvés sur le sol à la Harry Potter.  Je m'amusais des regards  médusés des parents.

Il avait beau être mon aîné, je veillais sur lui et son sourire était la plus belle des récompenses. Ses cheveux châtains, plus foncés que les miens, me poussèrent à lui mettre du sable dessus  afin que l'on se ressemble davantage. Et il me poursuivait à travers toute la plage pour se venger. Je pouvais presque sentir l'odeur de la mer, le remous des vagues apaisant mes tourments.

J'avais besoin d'oublier, ne serait-ce que pour un moment. J'avais besoin de boire. Il n'était que dix-huit heures lorsque je me dirigeai vers la supérette la plus proche et achetai une bouteille de whisky. Puis, je décidai de rentrer à la maison.

Je pris le chemin de mon appartement, situé proche du centre-ville, et avançais titubante, en buvant  au goulot pendant tout le trajet. Je me détachai de mes pensées, mais pas assez. Il en faudrait bien plus pour camoufler cette douleur. Alors je repris une rasade, en tentant d'insérer mes clefs dans la porte. Je n'y parvins qu'à la troisième tentative. Je claquais la porte d'un revers de coude et m'affalais sur le canapé bleu de mon studio. Mais mon pied se prit dans le tapis, et je m'écrasais au sol, la tête la première. La bouteille de whisky, ou ce qu'il en restait du moins, se brisa sur le sol et le liquide ambré se répandit sur le parquet.

Ce fut la goutte d'eau. Noyée dans l'alcool, au sens propre comme au figuré, je laissais exprimer  ma peine. Mes joues s'imbibèrent  de larmes tandis qu'une plainte déchirante sortit de ma gorge. La douleur s'empara de moi, vivace, brûlante, elle menaçait de me consumer tout entière.

A deux  doigts de la crise d'angoisse, je m'endormis, à même le sol sans m'en rendre compte.

Je me réveillais vers vingt-trois heures. Un affreux mal de crâne me saisit. Mais qu'est-ce que je fous par terre ? Je tentais de regarder sur ma droite, mais mes muscles endoloris m'en empêchèrent. Chaque parcelle de mon corps  me faisait souffrir, refusant ce traumatisme. Je sentis un liquide poisseux coller à mes vêtements, puis tout me revint en flèche. Mon frère...

Je ne vais pas pouvoir rester seule ce soir, réalisé-je.

Je ne veux plus ressentir ça. Je ne veux plus rien ressentir.

Il n'y avait qu'un moyen pour cela. Je me levais avec difficulté, filais enfiler une nouvelle robe, puis partis de chez moi, clefs en mains, direction la boîte de nuit.

J'arrivais à destination vingt minutes plus tard. Je ne roulais pas très droit, mais je n'en avais rien à faire. Danser apaiserait mon cœur, à défaut de ma douleur. De plus, je n'aurais pas à payer l'alcool puisque les garçons désespérés m'en offriraient dans l'espoir de rentrer avec moi ce soir. Mais au diable leur cœur d'artichaut, ce soir, le mien était en miettes.

Je tentais de faire abstraction des regards langoureux des jeunes hommes dans la file d'entrée, et de ne pas tenir compte de la gêne qui enflait à mesure que les filles me jugeaient de haut en bas, détaillant mon collant troué par ma chute et tendis ma fausse carte d'identité au videur.

J'étais seule, en robe noir moulante, et je savais que le stratagème fonctionnerait. Et, au prix de la fausse carte d'identité à cent trente-cinq euros, il y avait intérêt. J'avais besoin de lâcher prise. J'avais déjà entamé un quart de la bouteille lorsque j'atteignis la porte d'entrée. Je tenais à peine droite. Le videur me regarda,  regarda la carte, puis me regarda de nouveau, et me fit un signe de tête vers la porte. Je pouvais y aller.

Singulier - [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant