Chapitre 2.5 - Steven

256 63 367
                                    

« Iris ».

Ce fut le premier mot qu'elle prononça. La jeune femme se tenait assise à l'autre bout de sa chambre, enfin, de ma chambre, techniquement, par terre.

Ses cheveux châtains tombaient en bataille sur ses épaules et des mèches couleur miel ressortaient sous les rayons du soleil. Lorsqu'elle releva la tête, un mélange de couleurs me frappa.

Son œil droit reflétait la méditerranée, tandis que son œil gauche avait la couleur du chocolat. Lorsqu'elle tourna la tête, des éclats ambrés se mêlèrent à sa couleur naturelle, sous l'effet du soleil.

Son charme me coupa le souffle, même si je n'en avais déjà pas beaucoup.

Je n'arrivais pas à détourner le regard. Je crois qu'une partie de moi ne voulait pas le détourner. Elle me perturbait.

La fille en question fixait ses chaussures, sûrement gênée que j'ai vu sa digue céder. Des larmes continuaient de rouler sur ses joues même si elle avait retrouvé une respiration normale.

Après plusieurs minutes de blanc, je tentais de crever l'abcès.

-Ça va mieux ?

La fille me fusilla du regard, à tel point que j'eus un mouvement de recul. Je tentais alors de me justifier. Voyant ses traits se détendre, je laissais un silence agréable planer entre nous. La curiosité avait remplacé la colère.

Désormais, l'inconnue me regardait fixement, la tête légèrement penchée sur le côté. Elle me détaillait en silence, s'attardant sur mes cheveux, mon nez, puis ma robe d'hôpital, pour revenir à mon nez. J'avais hautement conscience des fils qui en sortaient, ce qui me mettait mal à l'aise. Son regard aussi me gênait, j'avais l'impression qu'elle me jaugeait du regard, m'examinant sous toutes les coutures. Pour détourner son attention, je tentais une blague.

-Tu vois, tu n'es pas la seule à avoir des difficultés à respirer.

Elle éclata de rire, pencha la tête en avant, ses cheveux s'étalèrent autour d'elle, encadrant son visage d'une aura solaire unique. Je rougis instantanément. Ce son cristallin me remua l'estomac, mais le pire fut le regard qu'elle m'adressa, un regard complice.

Comment parvenait-elle à rire dans cet océan de chaos ? Qui était-elle, bon sang ?

Ses yeux me redonnèrent une bouffée d'espoir, j'apercevais son âme. Ils étaient la lumière à travers les ténèbres, le phare dans la nuit noir. De la joie  se faufilait par les interstices du désespoir. Elle était semblable à une rose, avait poussé au travers des orties. Malgré cette épreuve, sa lueur ne s'était pas éteinte. C'était une battante, oh ça j'en étais certain.

Je détournai le regard pour qu'elle ne voie pas l'effet qu'elle avait sur moi. Je fis mine d'étudier la fenêtre, un léger sourire sur les lèvres, puis repensai à elle.

Quand elle riait, ç'en devenait hypnotisant. Sa tête se penchait en arrière, et ses cheveux suivaient, dans un mouvement de cascade. Un rire claire et simple. Sans artifice. Elle était belle, une beauté froide et mystérieuse, le genre de fille qu'on ne peut pas approcher. Jusqu'à ce qu'un sourire illumine son visage. Elle rayonnait.

Puis je repensai à la raison de son apparition, et mon cœur se serra à nouveau. Elle était entrée en courant dans ma chambre, fermant la porte à clef avant d'exploser. Ses pleurs m'avaient déchirer le cœur et une partie de moi se reconnut en elle, dans sa douleur. À ses pleurs, s'était ajoutée une crise d'angoisse. Et violente, en plus.

Elle avait perdu un être cher. Je ne voyais que cela. J'étais bien placé pour le savoir. Je savais que lorsqu'on  rentrait dans ce service, on n'en sortait plus, excepté dans un corbillard. Et pas à la place passager, si vous voyez ce que je veux dire. La place du mort au sens propre.

Depuis quatre ans déjà, j'arpentais ces couloirs, de ma chambre à la salle de « social » surnommé par les infirmiers. De cette salle à la cafétéria. Puis, de la cafétéria à ma chambre. La moyenne d'âge des  patients de ce service tournait autour de quinze ans.. Tellement jeunes, et pourtant si peu de temps nous restait à vivre.

Cet étage, je l'appelais le crématorium parce que chaque soir les soignants allumaient des bougies, et nous faisaient prier tous ensemble pour demander la grâce de Dieu. Comme si Dieu en avait quelque chose à foutre de nous alors que c'était lui qui nous avait placé ici.

Le nombre de patients qui quittaient cet étage s'élevait à dix pourcents à peine, et encore.

Tournant la tête à gauche, je repensais à Lizzie qui faisait un puzzle dans la cafétéria. Les derniers cheveux sur sa tête s'accrochaient à la vie, lorsque nous avions tous cessé de nous y accrocher. L'espoir était une flamme, vivace, mais difficile à entretenir.

Cet étage d'après les soignants était réservé aux « cas les plus compliqués » autrement dit, les patients avec peu de chance de s'en tirer, mais j'essaierais de m'en sortir, je me l'étais promis.

J'avais déjà exploré tous les recoins de l'hôpital, je connaissais chaque peinture de ces murs et chaque fissure dans cette aile du bâtiment. Alors je savais ce que c'était de se sentir seul. De se sentir condamné. Une empathie profonde m'envahit tandis que je m'identifiais à elle, reconnaissant les blessures qu'elle portait en elle, et lui envoyais un flot de compassion en pensée, espérant qu'elle le ressentirait.

Ses yeux plongés dans les miens me ramenèrent à la réalité, elle tourna la tête sur le côté, intriguée.

Trouves quelque chose à dire, trouves quelque chose à dire pensé-je

***

-Que s'est-il passé demandé-je.

Son visage jusqu'à présent détendu se crispa, et s'assombrit. Des larmes montèrent rapidement à ses yeux.

Putain quel con, pensé-je.

-Pardon, pardon, je suis désolé, c'était stupide, m'alarmé-je.

Moi qui était parvenu à la faire sourire, je venais de lui rappeler la raison de son chagrin, et très probablement la perte d'un de ses proches. Je suis vraiment trop con. Elle baissa la tête et des larmes tombèrent au sol, en silence.

Mon malaise augmenta, imprégna la pièce, et mon stress monta lorsqu'elle se releva maladroitement. Elle s'essuya brièvement les yeux, planta ses Doc Martens au sol et évita mon regard lorsqu'elle m'informa d'une voix mal assurée :

-Je... je crois que je vais y aller. Merci pour le mouchoir. C'était sympa de t'avoir rencontré.

Ses cheveux masquant ses yeux, elle se tourna vers la porte et avança vers la sortie, tête baissée.

-Je suis désolé, c'était pas voulu. Attends, reviens ! crié-je.

La porte se referma sur ces mots. Et merde, j'avais tout fait foiré. Une fois de plus. C'était rare de voir de nouvelles têtes dans cet hôpital, et encore plus dans cette section d'hôpital, et je l'avais fait fuir. J'étais vraiment trop con.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Singulier - [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant