Chapitre 22 - Iris et Ethan

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Ethan m'avait donné rendez-vous à dix-neuves heures. Je ne savais pas ce qu'il me voulait.

Je consultais mon portable pour la troisième fois. Putain mais qu'est-ce qu'il fout ? J'attendais depuis quinze minutes devant chez lui. Je sonnai pour la troisième fois. Pas de réponse, pourtant la lumière du salon était allumée, preuve qu'il y avait quelqu'un à l'intérieur. Je me levai du poteau sur lequel j'étais assise pour m'en aller lorsque j'entendis un bruit sourd.

Je me retournais vers sa maison. Haute, en brique rouge avec un toit noir. Le salon était allumé. Nous étions déjà à la mi-octobre, et la nuit assombrissait les rues. Le froid me glaçai les mains, que je tentais de réchauffer en les frottant l'une contre l'autre. Derrière moi, une allée pavée, grise, et quelques maisons avoisinaient la leur.  Puis le silence. Soudain, j'entendis un autre bruit sourd, qui provenait de la maison d'Ethan. Je regarde ou je ne regarde pas ? Bon tant pis, il était en retard, je n'allais pas en plus m'excuser de ce que j'allais faire. Je m'approchai de la fenêtre donnant sur le salon. Et me figeai. Un autre bruit sourd. Le poing de quelqu'un venait de s'écraser sur la mâchoire d'une autre.

Ça ne te regarde pas pensé-je ce ne sont pas tes affaires. Sûrement un conflit avec son meilleur pote. Une querelle amicale.

Je baissai les yeux. Mais ma curiosité l'emporta. Je les relevai. La personne qui avait reçu le poing ne bougeait pas. Elle avait les yeux rivés au sol, et la tête baissée. Pourquoi ne ripostait-elle pas ?  Je tentai de distinguer la silhouette dans la pénombre. Environ le mètre soixante-dix, les cheveux courts c'est tout ce que je pus distinguer. La personne se tenant en face était plus petite, avec quelques formes. Des cheveux longs. Une femme. Elle lui chuchota quelque chose à l'oreille et le corps de l'homme se tendit. Il eut un mouvement de recul imperceptible. Puis tendit la main pour la toucher. La femme leva la main sur lui, puis au moment de s'abattre, sa tête se dirigea vers la fenêtre, sa silhouette se découpait à travers la lumière jaune. Je reculai dans la pénombre. Et merde, elle m'a vu, m'affolé-je.

Soudain, elle recula et lui dit quelque chose en se détournant. L'homme enfila une casquette et se dirigea vers la porte. Je me rassis sur mon poteau et fixais mon téléphone, tournant le dos à la porte, cachée par la pénombre, donnant l'impression d'un profond ennui.

L'homme à la casquette se planta devant moi. C'était Ethan.

Cette découverte me glaça le sang. Je le détaillais, ses cheveux courts brun, sa casquette rouge sur les cheveux. Puis mes pensées se dirigèrent vers cette femme aux cheveux long derrière la porte. Elle portait un serre-tête jaune. Des milliers de questions défilaient dans ma tête. Qui le frappait ? Depuis quand ? Et surtout pourquoi n'avais-je rien vu venir ?

-Et donc je te disais .. , commença mon meilleur pote, mais sa voix se perdit dans le lointain.

Une chose était sûre, ce n'était pas la première fois. Il ne réagissait pas, attendant simplement que ça s'arrête. J'avais vu ce scénario dans les familles battues. Je connaissais cette réaction puisque je l'avais vécu.

-Eh oh, Iris  as-tu écouté ce que je viens de dire ?

-Euh non désolée j'étais dans mes pensées, tu disais quoi ?

L'un à côté de l'autre, nous marchâmes dans les rues sombres de notre ville. Vers vingt-trois heures on se dirigea vers une petite épicerie ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour acheter des canettes de soda. Rapidement, nous nous arrêtâmes  sur un banc près d'un parc. Timidement, je demandais, le testant :

-Alors, avec Elodie, tout va bien ?

A ces mots Ethan se raidit, se tordit les doigts.

-Ça va.

Il prit son temps pour répondre, hésita puis annonça d'un ton fier de lui.

-Je lui ai acheté un serre-tête cette semaine, il lui va comme un gant.

Les rouages de mon cerveau s'enclenchèrent, s'affolant. Serre-tête. Je repensais à la femme portant un serre-tête que j'avais vu démolir la figure du jeune homme moins de deux heures auparavant. Cette idée me glaça le sang. Puis, je risquais d'un ton incertain.

-Un serre-tête jaune ?

Soudain, le brun se tourna vers moi, le visage rayonnant.

-Comment tu le sais ? Tu l'as vu le porter ? 

Puis, son regard se dirigea vers l'horizon, et il répondit sur le ton de l'évidence.

-Elle l'a sûrement porté dans la rue, tu l'as sûrement remarqué.

Je le coupais d'un ton sec:

-Tu as du sang. Sur la bouche.

Mon ton cassant jeta un froid dans notre conversation. Mais je n'étais pas débile. Une femme aux long cheveux avec un serre-tête jaune. Il n'y en avait pas des masses. Et puis, tout semblait logique. Ethan habitait avec Elodie depuis un mois, chez elle. 

-Merci.

La colère remplaça la peur. Je ne savais pas quoi dire, j'avais du mal à réagir, totalement confuse. La seule chose que je pus lui dire fut :

-Tu peux tout me dire, tu sais. Absolument tout. Si tu as besoin. Je ne te jugerais pas.

Un combat intérieur sembla faire rage en lui avant qu'il ne réponde, confirmant mes doutes

-Je sais.

***

Je rentrais chez moi, mentalement épuisée, la tête bourdonnant de questions.

On parle souvent des victimes de maltraitances conjugales, mais jamais de leurs proches. A chaque non-assistance en danger, on vocifère devant la télévision « mais elle est bête ou quoi ? Elle sait que  son amie se fait frapper par un homme, elle ne dit rien ?  Il faut immédiatement dénoncer ça, sinon cela recommencera, tout le monde le sait !  ». Oui mais non. En pratique, comment suis-je supposée aider quelqu'un qui  accepte de se faire traiter de la sorte  ? Comment veux-tu aider quelqu'un qui défend sa copine alors qu'elle est l'auteur de violences ? Comment ouvrir les yeux à quelqu'un qui refuse de voir la vérité ?

Essayer de lui en parler, lui expliquer qu'être traité de la sorte n'est pas  normal, qu'il y a des recours et que son bourreau  devrait être punie pour ce qu'elle lui fait subir, n'est pas la solution. Cet idiot est tellement sous emprise qu'il  nierait en bloc.  La preuve, il a prétendu être « Tombé des escaliers » . Honnêtement, même moi j'aurais  pu trouver une excuse  plus crédible. De plus, il serait capable de balancer à sa copine mes avertissements.   Cette garce va tout faire pour que l'on ne se parle plus, pour l'isoler, le faire sentir tellement seul qu'il n'aura plus que vers elle à qui se tourner.   Dénoncer à la police, ne servirait à rien de plus, puisqu'Ethan refuserait de porter plainte et c'est bien connu « Sans plainte, on peut rien faire ma petite dame ». Non, il allait  falloir que je la joue fine sur ce coup-là.

Je tentai de me mettre à sa place. Que devait-il ressentir ? De la honte, me cria mon instinct. Tout d'abord, de se faire frapper. La honte de ne pas vouloir se défendre. Ensuite,  la honte d'être un homme battu puisque la société considère qu'un homme doit être fort et viril, il ne peut être victime de violences, par sa femme qui plus est. Puis la peur que ces violences soient connues par autrui, et que  les coups empirent. Enfin, l'espoir qu'elle s'arrête,  qu'elle l'aime. et  que tout redevienne comme avant.

Je pouvais être là pour lui, en silence, comme si je ne savais rien à la situation. Je pouvais lui montrer que j'étais  digne de confiance afin de délier sa parole et qu'il accepte mon aide.   Enfin, je pouvais  tenter de lui ouvrir les yeux ou de lui changer les idées afin qu'il se sente mieux. Oui, pour l'instant, c'était le mieux que je puisse faire.

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Iris a apprit ce que subit Ethan au quotidien, comment réagira-telle ?

Prochain chapitre sur la relation de Steven et d'Iris Yeeees

Singulier - [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant