Haunted School

5.

Aliénor

Aliénor retourna seule aux dortoirs. Elle avait rejoint Aaron, Emiliane et Cyrielle, des amis de sa classe. Ils avaient passé l'après-midi à parler du concours d'art. Le thème n'avait pas encore été annoncé, alors ils s'étaient concentrés sur l'aspect technique du projet. C'était la partie qu'elle trouvait la plus ennuyeuse, mais peut-être la plus essentielle. Aliénor réalisait et filmait tous leurs projets, c'était pour ça qu'elle était dans cette école.

Au moins, ça l'avait occupée toute l'après-midi. Ils l'avaient envoyée chercher sa caméra, et même si Emiliane avait voulu l'accompagner, elle avait refusé. Elle avait besoin d'être seule et d'organiser ses pensées. Elle allait sûrement se réveiller bientôt d'un songe particulièrement réaliste. Le livre qu'elle avait lu avant de s'endormir avait dû l'influencer, rien de plus. Demain, elle se dirait que son rêve pourrait faire l'objet d'un court-métrage.

Non, elle ne digérait pas cette histoire. Seule April en était capable, et elle n'était pas April, loin de là.

Elle avait besoin d'être seule et de souffler un peu.

Alors qu'elle allait rentrer dans sa chambre, il apparut à côté d'elle. Aliénor l'ignora. Elle n'avait pas envie de parler à Gabriel.

- Je vous ai sous-estimée, commença-t-il.

Elle lui fit signe d'entrer dans le dortoir. Elle avait sa réputation à préserver, hors de question qu'on la voie comme la fille qui parle seule sans aucune raison.

Elle continua d'agir comme s'il n'était pas là. Il reprit :

- Danaë m'avait parié que vous seriez capable de la trouver dans l'école avec des informations basiques, et j'ai dit que vous étiez trop absorbée dans votre quotidien de mademoiselle parfaite pour cela.

Dos à lui, Aliénor leva les yeux au ciel. Gabriel l'exaspérait. N'avait-il rien de mieux à faire ?

- Il s'agit d'une des rares fois où j'ai eu tort. Ma peine est donc de vous présenter des excuses pour avoir été désagréable avec vous. Vous avouerez que vous avez été bornée, et vous serez priée de prendre en considération le fait que je n'ai même pas le droit de venir vous parler. Je prends donc des risques pour honorer mes paris.

Elle rit. L'assurance de Gabriel s'effritait au fur et à mesure qu'il parlait. Lui qui semblait si fier, il devait beaucoup tenir à Danaë pour venir s'excuser.

- Je fais un effort considérable pour admettre mon erreur et vous me riez au nez ? Ma chère j'avais une estime de vous plus haute que cela, s'offusqua-t-il faussement.

Elle se tourna enfin vers lui. C'était la première fois qu'il la voyait sourire, c'était sans doute la dernière.

- « Désolé de vous avoir sous-estimée ma chère », ça suffisait.

Elle était de bien meilleure humeur, l'annonce du concours lui avait fait du bien. Ils en avaient bien pour un mois à ne parler que de ça. Elle pourrait l'éviter sans soucis, et ne plus jamais reparler aux fantômes par la suite.

- Je ne fais jamais les choses à moitié.

- Excuses acceptées.

Elle quitta sa chambre, sa caméra en main et rejoignit les autres. Elle devrait remercier Danaë de le rendre presque vivable avant de ne plus jamais se mêler aux fantômes. Elle n'aimait pas non plus l'idée d'avoir été un pari entre eux alors qu'elle ne les connaissait même pas. Elle ne les avait même pas encore remarqués qu'ils parlaient déjà d'elle et des autres vivants, c'était perturbant.

Les jours étaient passés. Toute l'école ne parlait plus que du concours. C'était une occasion incroyable de se démarquer et de se faciliter la vie plus tard. 

Et elle avait presque réussi à éviter les fantômes.
De temps en temps, Emiliane lui disait qu'elle avait parlé avec Gabriel ou Danaë. Elle lui affirmait que Gabriel n'était arrogant qu'en apparence, comme elle. Mais Aliénor n'avait pas sa force de caractère. Elle avait déjà accepté les excuses étranges de Gabriel, c'était plus que suffisant.

April, elle, lui racontait parfois qu'elle jouait à la poupée avec Daphnéa. Elle lui parlait assez peu de Danaë et Gabriel, mais il était là parfois, quand elle rejoignait April dans une salle de musique.
Il s'éclipsait ensuite par le mur pour les laisser seules.

Mais parfois, il venait à sa rencontre. Il lui demandait son aide. Gabriel voulait mourir, s'en aller pour de vrai cette fois. Aliénor en ignorait les raisons, mais il était sûr que puisqu'elle ne l'aimait pas, les choses iraient plus vite.

Il n'avait pas tort, elle ne l'aimait pas.

Et aujourd'hui était une de ces fois où Emiliane les avait laissés seuls. Au vu du sourire qu'elle avait lancé à Gabriel avant de partir, Aliénor était sûre qu'elle l'encourageait dans son idée stupide.

" Aliénor j'ai besoin de votre aide, ne vous comportez pas comme une enfant. Je ne cesserai de vous tourmenter avant que vous acceptiez, alors s'il vous plaît, abrégez nos souffrances.

- Qu'est-ce que vous voulez ?

- Accepteriez-vous de m'aider à partir ?

- Et pourquoi moi ? Pourquoi pas les autres ?

Emiliane lui avait sûrement dit non, et que de toute façon, elle avait mieux à faire que de s'occuper de ses problèmes existentiels. Puis elle avait dû lui dire qu'Aliénor ne dormait que peu, et qu'elle avait l'habitude de faire des recherches, qu'elle était la candidate idéale pour l'aider à mourir !

- Emiliane et April dorment parfois, et ce serait stupide de me lier d'amitié avec elles et de m'en aller ensuite, rétorqua-t-il. 

- Qui a dit qu'elles pouvaient vous apprécier ?

- Qui a dit que ce n'était pas déjà le cas ?

Argument inutile, c'était évident.

Il l'excédait, elle le détestait. Son air las lui collait sans cesse au visage. Il ne se rendait pas compte de l'ampleur de la chose : il lui demandait à elle, une inconnue, de l'aider à s'en aller réellement, parce que la mort avait raté son coup une première fois. C'était ridicule. Mais c'était peut-être l'étrangeté de la conversation qui la fit céder.

- Rendez-vous minuit, bibliothèque, et préparez-vous à y passer la nuit. Venez à l'heure.

- Avec plaisir ma chère, ironisa-t-il.

Et elle tourna les talons.