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Gabriel

Danaë mettait trop longtemps à arriver, il faisait jour maintenant. Elle devait avoir croisé Antoine. Elle allait le détester pour ça. Même si elle s'évertuait à prendre soin de toute sa famille, elle n'en portait pas la moitié dans son cœur, il la comprenait. Il ne savait même pas exactement ce qu'elle faisait là, au milieu de ces gens odieux, se pensant réellement supérieurs. Pourtant, Gabriel savait mieux que personne que Danaë pouvait largement les dépasser en arrogance quand elle le voulait.

Sa meilleure amie était terrifiante parfois. Elle le serait quand elle aurait fini de parler à son cousin.

Il s'en voulait aussi. Demander son aide alors qu'il savait pertinemment qu'elle aussi voulait partir mais qu'elle ne se le permettait pas, il était stupide.

Mais cette fois, c'était la bonne. Il arrivait parfois que des humains puissent les voir, environ une fois tous les soixante-quinze ans. Le premier avait été celui qui avait changé la maison en école, et peu importe que tous les fantômes se détestent, chacun adorait cette anecdote. Le dernier s'appelait Colin, et Gabriel ne pouvait tout simplement pas lui demander ça. Le vivant s'était bien trop attaché à Danaë pour cela, il savait bien qu'elle ne l'avait toujours pas oublié. Pourtant, c'était en 1976.

Aliénor était motivée à l'aider à mourir, peut-être pour s'épargner sa présence, il n'avait que faire de ses raisons. Il n'en parlait pas avec April, il pensait qu'elle était au courant, mais il ne voulait pas aborder son départ avec elle. Il décida d'ailleurs d'aller la retrouver dans une des salles de musique, elle devait être réveillée.

Et il n'avait pas tort, April était dans une salle de musique, assise à même le sol avec Aliénor. Les deux collaient des paillettes sur des morceaux de tissu grossièrement découpés au ciseau. April leva la tête vers lui et lui fit un grand sourire :

- Bonjour Gabriel. Aliénor m'aide à me faire des ailes. Comme ça, les pixies viendront me voir.

- Les pixies ?

- Des petites fées qui vivent dans les murs. Dis, tu as déjà vu des pixies ?

Il hocha négativement la tête en guise de réponse alors qu'April demandait la colle à Aliénor. April avait beau vivre dans un autre monde, elle était très attachante. Elle lui rappelait tant Estelle parfois que c'en était troublant, mais quelque part, ça facilitait leur amitié dépareillée. April parlait beaucoup, il l'écoutait, même s'il ne saisissait pas toujours le sens de ses paroles.

Aliénor se redressa et s'étira, jetant un regard à Gabriel au passage.

- Jamais je ne vous aurais imaginée capable de vous asseoir à même le sol pour fabriquer des ailes.

- Nous ne nous connaissons pas. Au passage, je déteste que vous me regardiez de haut actuellement, cela donne l'impression que vous jugez nos activités. Ne voulez-vous pas vous asseoir ?

Cette fois, elle était totalement tournée vers lui, ses yeux bruns plantés dans les siens. La bonne humeur lui allait bien au teint, elle semblait mieux se porter ici avec April qu'assise à la bibliothèque avec lui.

- Aliénor, jamais je ne m'abaisserai ainsi pour votre confort. Ne préférez-vous pas vous redresser ?

- Question d'égo, vous devriez le comprendre Gabriel. Et je suis occupée. Vous devriez essayer vous aussi de trouver de quoi faire, cela vous irait bien.

Il sourit, amusé par la tournure que prenait leur conversation alors qu'elle lui tournait le dos pour aider April avec ses paillettes.

- Vos sous-entendus ne sont pas très bien dissimulés, ma chère. Peut-être gagneriez-vous à apprendre en rhétorique ?

- Encore une fois, voici la preuve que nous ne nous connaissons pas, je déteste les sous-entendus. April, tu peux me passer la colle ? On va mettre tes ailes sur son dos.

Personne ne lui avait jamais répondu comme ça, ses échanges avec Aliénor ressemblaient toujours à un défi, c'était distrayant.

- Gabriel, ne la déconcentrez pas, Aliénor fronce les sourcils à cause de vous, ça pourrait troubler sa vue.

Il détourna le regard un instant pour observer la salle de musique, il y en avait plusieurs dans l'école, celle-ci était la moins utilisée. Celle du troisième étage était la salle avec la moins bonne acoustique, la plus petite aussi, moins de possibilité pour répéter en groupe, et comme elle était presque tout le temps vide, le meilleur endroit pour des projets disons insolites.

La minute d'après, April se levait pour fanfaronner avec les ailes qu'elle avait fabriqué avec Aliénor.

- Maintenant, moi aussi, je suis une fée !

- Une fée n'a pas besoin d'ailes April, tu en as toujours été une, répondit Aliénor avec un sourire.

- Mais maintenant les pixies le verront !

April avait l'air tellement heureuse que c'en était contagieux. Il souriait lui aussi, sans même s'en rendre compte.

- Je ne vous pensais pas capable de sourire ainsi, lui dit Aliénor tout en se relevant elle aussi.

- Peut-être que vous ne m'avez donné aucune raison de le faire.

- Vous ne m'avez donné aucune raison d'être agréable, Gabriel.

- Malheureusement ma chère, il me semble que nous soyons destinés à nous revoir.

- Plus vite vous serez mort, mieux ce sera.

- Il s'agit des rares fois où je suis d'accord avec vous.

- Vous apprendrez à l'être plus souvent.

Aliénor détourna le regard pour fixer sa meilleure amie, qui s'était maintenant installée au piano. Aliénor plantait toujours ses yeux dans les siens pour lui parler, comme si ça rendait la confrontation plus directe, c'était d'autant plus distrayant de la faire enrager après. Il savait qu'elle percevait les choses de la même façon que lui : un simple jeu de répartie pas toujours très bien trouvée, mais ça importait peu.

La musique d'April s'éleva dans l'air. Il l'entendait souvent jouer, il était chaque fois étonné par son talent. Elle avait le don de transmettre les émotions à la musique, de faire parler des notes, il ne se souvenait plus du titre du morceau qu'elle jouait, mais il l'avait connu de son vivant. Il s'en rappelait trop bien, les souvenirs remontaient.

Cela lui rappelait les bals de son vivant, il se rappelait les danses sur ce morceau. La main de Morgane glissée dans la sienne, il avait tant aimé cette fille, c'en était indécent à l'époque. Peut-être encore maintenant, il n'en avait aucune idée. Il se rappelait de la façon dont elle lui souriait, calmement, comme si rien d'autre n'existait, qu'ils étaient seuls dans un monde qui n'appartenait qu'à eux. Il avait été ridicule d'espérer qu'il aurait un mot à dire sur son mariage. Elle n'était pas rentable pour son père, alors ils s'étaient contentés de couper les ponts. Il n'avait aucune idée de ce qu'elle était devenue, il espérait simplement qu'elle ait fait un mariage heureux, avec un parti plus avantageux qu'il avait pu l'être.

La musique s'éteignit, pas les souvenirs. April le regarda, comme si elle pouvait lire en lui.

- Tout va bien Gabriel ?

- Parfaitement, April. Tu es très douée.

- Comme tout le monde dans cette école. Merci.

Elle lui sourit et commença un autre morceau. Il ne remarqua pas qu'Aliénor quittait la pièce pour les laisser seuls, il ne remarqua pas non plus le regard inquiet qu'April posait sur lui. Il ne voulait plus y penser, mais comment oublier ?


NDA : Bonsoir, alors avec les cours qui ont repris j'ai pris mon temps pour le chapitre. Pour être honnête, je suis jamais allée plus loin que le huitième chapitre sur une fic, on y croit pour cette fois, parce que j'ai mis toute mon âme dans cette histoire. J'espère sincèrement que ça vous plaira, même si je publie un peu moins souvent le temps de reprendre le rythme scolaire (allez on y croit, pour une fois je vais aller au bout d'une histoire).

Au passage, j'espère que mes persos vous plaisent et que vous pourrez vous attacher à eux comme moi, voilà voilà bonne lecture pour la suite :)

Haunted SchoolOù les histoires vivent. Découvrez maintenant