Chapitre 13

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Une impitoyable odeur de fumée agressait les narines d'Alexandre. Au milieu des quais embrasés, déjà jonchés d'innombrables corps des guerriers de la Compagnie des Épices, le jeune marchand tentait de retrouver ses compagnons. Ses yeux bleus comme l'océan scrutaient chaque recoin de ce port, d'ordinaire paisible, transformé en un sinistre champs de bataille. L'air empestait le bois brûlé. Quelques notes porteuses d'essences cuivrées et sanglantes y flottaient. Odeurs sinistres qui se mélangeaient aux armées de braises portées par le vent de le mer toute proche tandis que d'innombrables soldats impériaux ne cessaient de débarquer sur les embarcadères maintenant dévorés par les flammes. Les sbires de l'Estotiland n'avaient pas hésité une seule seconde à bouter le feu aux bâtiments de Lambermer. Il avait suffit d'un seul ordre du Chevalier Noir pour transformer les lieux en un brasier infernal. Les voiles et mâts des quelques navires de pêcheurs, amarrés non loin de hangars regorgeant d'alcools et autres produits inflammables, s'étaient très rapidement changées en terribles flambeaux d'une taille titanesque lorsque les carreaux enflammés des impériaux étaient venus s'y loger.

Ses oreilles, déjà sifflantes, ne percevaient que le crépitement du feu, les râles d'agonie de ses hommes, la clameur de la bataille et toujours le même bruit métallique des armures animées semant la mort autour de lui. Tout n'était que chaos et confusion autour de lui. Le jeune homme tenait encore fermement la garde de sa rapière malgré sa main tremblante. L'adrénaline. Elle ne le saisissait que lorsqu'il traversait d'intenses émotions, combinées à de grands efforts. Il pouvait même entendre son cœur battre la chamade dans sa poitrine. Il se mordit les lèvres, agacé. Il avait pourtant l'habitude des combats et des défis... Moins du danger. Et le danger, à présent, était imminent. Il ne pouvait se permettre de laisser les impériaux saccager les terres de sa famille et ravager tout ce qu'il avait défendu jusqu'à présent.

Par le passé, Eustache le Moine et Barbe Noire avaient tenté de mettre à sac cette cité portuaire et, fort malheureusement pour eux, Alexandre de Disbourg s'était dressé sur leur chemin. Des équipages de gros bras et robustes gaillards avaient déjà été vomis sur Lambermer quelques années plus tôt. Alexandre regarda sa précieuse rapière. Sa lame en avait vu passer plus d'un et il se promit intérieurement de ne pas se laisser impressionner aujourd'hui. D'aucun aurait prié les Dieux au milieu de tels affrontements mais Alexandre n'était pas pieu, loin de là. Il ne croyait qu'en lui et estimait que cela était déjà bien suffisant.

À raison, puisque ses instincts l'amenèrent à se retourner brusquement pour planter son arme à travers le casque masqué d'un Silenciaire qui s'était approché dans son dos. La haute créature de fer, prise de court, en laissa tomber sa faux de guerre avant de s'effondrer avec fracas au sol, abandonnée par les étranges feux follets qui l'animaient. Le commerçant se recula. Au moins, ces soldats contre-nature avaient l'avantage de ne pas souiller les épées quand on les transperçait.

Alexandre considéra un court instant l'armure qui gisait à ses pieds, se demandant déjà quels profits il pourrait en retirer s'il envoyait plusieurs de ces carcasses dans des forges clandestines de l'Arduinna. Il n'eut pourtant pas le luxe d'y réfléchir plus longtemps. Il releva la tête et vit trois autres armures animées courir dans sa direction. Sur ses gardes, il fixa avec attention la plus proche et se jeta sur elle avec une célérité terrible. Se laissant glisser sur le bois lisse et humide des quais, il parvint à balayer cette première armure animée qui tomba dans les eaux noires du port sans un cri.

Il se redressa de justesse pour éviter la faux de guerre que le deuxième Silenciaire agitait dangereusement dans les airs. En quelques pas rapides et légers, le marchand se faufila dans son dos pour lui asséner un coup fatal. L'armure enchantée s'effondra à son tour et le jeune homme se retourna assez vite pour se jeter sur la troisième. Laissant sa rapière tomber sur les planches du quai, il plaça ses deux mains sur la faux de son ennemi impérial, tentant de la lui arracher. Hélas, l'être magique, qui mesurait au moins deux mètres dix de haut, avait une solide poigne.

L'Alchimie des LégendesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant