Chapitre 30

8 1 8
                                    

Des tavernières potelées et pressées effectuaient inlassablement des allers et retours entre les cuisines et les nombreuses tables animées du « Rire du palefrenier ». Certaines tenaient dans leurs doigts boudinés mais agiles de généreuses choppes de bière couronnées d'une mousse aussi épaisse qu'immaculée.

D'autres se frayaient un chemin jusqu'aux clients affamés pour leur apporter de grandes assiettes dans lesquelles se trouvaient tantôt des jarrets de porc rôtis au miel, tantôt des tourtes aux bettes. De temps à autre, un chat rapide et souple passait là, se faufilant entre les bottes et les poulaines crottées de boue, pour grignoter l'un ou l'autre os de sanglier qui traînait au sol.

Leur odorat sensible était tout émoustillé par l'agréable parfum de chair rissolée et croustillante qui flottait dans l'air. Geoffroy lui-même salivait presque en observant de loin ce petit marcassin embroché de la tête à la queue tourner lentement au-dessus des braises ardentes.

Une jeune demoiselle arrosait de beurre fondu sa peau chaude imprégnée de miel, d'épices et de moutarde. Le chevalier errant avait dû se contenter d'une misérable soupe aux orties, tiède, tandis que son ami, Alexandre, avait opté pour une colossale pinte de bière. Il y en avait pour au moins un litre de breuvage houblonné.

Face à eux, un Gundulf qui paraissait toujours aussi dubitatif. Tous les trois étaient attablés dans l'un des rares coins ombrageux de l'établissement. Ils espéraient ainsi être à l'abri des regards indiscrets.

- Sacré Al', ricana Gundulf. Toujours aussi prompt à t'embarquer dans des projets farfelus. La Tour Blanche. Rien que ça !

- Moins fort, marmonna Geoffroy avec inquiétude.

Le chevalier errant était en effet loin d'être serein. Il jetait sans cesse des regards furtifs autour de lui pour s'assurer pour s'assurer que personne ne les écoutait ou ne les épiait. L'idée d'échanger sur une pareille initiative au milieu d'une taverne noire de monde ne l'enchantait guère.

Alexandre, plus détendu, donna un coup de coude à son camarade angoissé puis avala quelques nouvelles gorgées avant de s'exclamer :

- Les risques sont les meilleurs ingrédients mener des bonnes affaires, mon brave !

- Des bonnes affaires ? s'amusa Gundulf. Et quelles bonnes affaires espères-tu encore réaliser dans ta situation, Al' ? Ta précieuse Compagnie des Épices est entre les mains d'un bossu crasseux. Ton nom est assimilé à la perfidie et au complot. Tout le monde te croit mort. Tu erres dans les ruelles de la capitale pour me trouver dans une taverne miteuse accompagné d'un genre de vagabond qui pue la cendre.

- Mais... Vous êtes irrespe..., commença Geoffroy.

- Il n'a jamais été été très aimable, nota Alexandre qui lui aussi était irrité par les propos de l'architecte.

Le vieux gaillard laissa échapper un rot bruyant et fétide avant de confirmer :

- Je n'ai jamais prétendu être aimable. Cependant, j'honore toujours mes engagements. Tu veux savoir comment te faufiler dans ce donjon et te jeter dans les bras d'une mort certaine ? Ainsi soit-il...

L'imposant barbu se pencha sur la table et marmonna aux deux aventuriers ce qu'il connaissait des sous-terrains de la capitale et des passages secrets de la Tour Blanche. Captivé, Geoffroy tendit l'oreille et se fit violence pour supporter l'haleine putride de Gundulf. Un souffle pourri qui s'avéra n'être qu'un pâle avant-goût de ce qui les attendait, Alexandre et lui.

En effet, quelques heures plus tard, les deux Arduinniens, s'en étant tenu aux indications fournies par cet architecte à l'hygiène douteuse, pataugeaient à présent dans les profonds et malodorants égouts de la capitale impériale. Un dédale de boue, tapissé de crasses et autres flaques aussi épaisses que répugnantes.

L'Alchimie des LégendesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant