Chapitre 13

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Harry arriva à Londres aux environs de dix-huit heures. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il n'avait pas anticipé l'hystérie qui s'emparait de Heathrow au milieu du mois de juillet. C'était pour ainsi dire la folie. La foule semblait avoir elle-même une âme, tant elle était dense. Les gens se pressaient, hors des avions, près des tapis roulants, devant les toilettes et autour des distributeurs.

Après être parvenu à récupérer ses bagages, Harry se pressa entre les gens, comme les gens, jusqu'à sortir du bâtiment gris. Dehors, il faisait chaud. Comme c'était rarement le cas à Londres. D'épais nuages translucides donnaient au ciel l'apparence du coton. Un coton rosâtre, imbibé de pollution et d'été. Ils semblaient bas, ces nuages, gardant la chaleur tout près du sol. Près des corps suintants des londoniens. Harry attendit un taxi durant vingt minutes sous ce ciel pesant. Il se prit à lire un peu le paysage, le ciel et les voitures et les passants. Ce paysage avec le brouhaha qui s'en dégageait.

Pour la première fois depuis New York, Harry vit le monde tel qu'il avait l'habitude de le voir. Avec ses grands yeux clairs, avides de tous les sous-entendus qui se cachaient dans chaque chose. Il ne savait pas pourquoi. Pourquoi ici et maintenant. Sur le bord d'une route bétonnée à la fin du jour. Mais ça lui rendait un peu d'espoir.

Lorsqu'un taxi se gara devant lui, Harry était recouvert d'une fine pellicule de transpiration. L'air était lourd, gonflé par l'idée d'un orage imminent. Harry avait appris à aimer cet air-là, malgré les dégâts qu'il engendrait sur ses cheveux, les rendant flous et poisseux. Harry aimait cet air-là pour toute la tension qui l'imprégnait, cela faisait souvent de bons clichés. Enfin, Harry avait décidé de prendre des vacances, et il ne céderait pas à la tentation de sortir son appareil jusqu'à ce qu'elle ne devienne insupportable. Alors il ne céda pas. Il grimpa dans le taxi et donna l'adresse de sa soeur au chauffeur.

Ainsi, cloué dans un siège à l'arrière d'un taxi, Harry ralluma son téléphone. Il vit l'appel manqué de la part de Michal, sous beau frère, et devina aisément que sa nièce était en train de pester contre lui. L'idée le fit sourire. Harry n'avait pas vu Millie depuis Noël, et même s'il la voyait en FaceTime presque tous les jours, il craignait qu'elle ne soit plus la même enfant qu'il avait quitté il y avait un peu plus de six mois. Il savait à quel point les enfants grandissaient vite à cet âge-là.

Harry était exténué par le voyage et le décalage horaire et son coeur brisé, mais l'idée de voir sa famille le faisait presque trépider d'impatience. Il passa donc les quelques dizaines de minutes qui le séparait de l'appartement de sa soeur à observer la ville défiler derrière la fenêtre. Cela faisait presque deux ans qu'il n'avait pas mis les pieds à Londres, et soudain, il regrettait. Il regrettait de ne pas s'être attardé ici après avoir commencé la photo à un niveau professionnel. Il n'avait de la ville que quelques souvenirs ciselés dans sa mémoire. Ces quelques souvenirs étaient précis et brutalement bariolés. Il se souvenait assez parfaitement des quelques soirées, des quelques journées qu'il avait passé dans la capitale à l'époque où sa soeur venait d'y emménager pour ses études. Il se rappelait de la fureur qui s'emparait des quartiers étudiants une fois la nuit tombée. De la musique dans les rues et dans leurs écouteurs. Il se rappelait que Londres avait été la première de toutes les villes qu'il avait photographié. Il y en avait eu peu des moments comme ça, mais ils avaient compté. Il se rappelait d'une façon tristement mélancolique, que c'était bien Londres qui l'avait amené dans toutes les autres grandes villes qu'il avait visité depuis. Harry avait trouvé incroyable la vie qui semblait partout et tout le temps, il l'avait trouvé belle, cette vie. Cette vie pressée et furieuse, pleine de rêves et d'irréalisme. C'était ce qu'Harry avait retenu des quartiers étudiants de Londres.

A présent, Gemma n'habitait plus dans ces quartiers-là, ceux qui vivent plus fort que les autres. Le taxi s'arrêta en plein coeur de Queen's Park, devant l'immeuble de sa soeur. Harry farfouilla dans son porte monnaie dans l'espoir de trouver du liquide mais ne dénicha que quelques dollars esseulés et dix peso mexicain. Il paya avec sa carte, remercia brièvement le chauffeur et sortit. Il appuya sur l'interphone de l'appartement numéro cinq. Il entendit le grésillement caractéristique et quelques secondes plus tard, la voix grave de Michal résonnait dans le petit appareil. « C'est Harry », souffla ce dernier et attendit une réaction qui ne vint pas. A la place, la porte vibra et Harry pu entrer dans l'immeuble. Il monta à pied jusqu'au troisième étage et abattit son poing trois fois sur la porte de l'appartement. La porte s'ouvrit quelques instants plus tard tout juste, dévoilant Michal vêtu d'un costume à la cravate à peine desserrée.

Far Away.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant