Chapitre 16

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Quelque part, Harry savait qu'il aurait dû s'y attendre. Et en réalité, il pensait s'y attendre. Il ne pensait plus être blotti dans ce déni cotonneux qui allongeait l'engourdissement confortable et repoussait les peurs.

Harry eut pourtant la sensation d'un échec cuisant en quittant le hall de l'immeuble. Au-delà de la douleur, il y avait bien cela, ce sentiment d'avoir échouer, d'y être soi-même pour quelque chose. Ce n'était pas la vie qui les avait séparés, ce n'était pas vraiment Louis non plus qui les avait séparés. Au final, c'était bien Harry qui avait tout gâché, qui avait renoncé volontairement à la plus belle chose qui lui soit jamais arrivée, il y avait plus d'un mois de cela. Ce sentiment d'échec et de culpabilité, c'était un truc acide, qui ronge tout ce qui vie et tue tout ce qui bouge encore.

Les pieds d'Harry le portèrent à une lourdeur usée sur le trottoir encore chaudement illuminé par les lampadaires et les cris de la ville. Des images imprécises du visage de Louis engoncé dans la pénombre lui revinrent en mémoire, il avait été à quelques centimètres de lui à peine et semblait pourtant à l'autre bout du monde. Intouchable. Inaccessible. C'est ainsi qu'Harry avait compris que c'était véritablement terminé. Même de l'autre côté de la planète, et sans un moyen de le contacter, Harry ne s'était pas sentit si loin de Louis. Ce soir-là, et sous ses yeux, Harry était presque certain d'avoir vu Louis disparaître.

Alors il était parti.

Il avait fui. Comme il l'avait trop souvent fait.

Mais, il fallait le comprendre, qu'y avait-il à gagner à invoquer le fantôme d'un amour qui n'existait plus. Harry n'avait plus rien à faire là bas, dans cet appartement qui l'avait vu tomber amoureux. Il n'avait plus rien à y faire si Louis ne voulait plus de lui.

Harry sentait sa poitrine se comprimer à intervalles réguliers. Des spasmes accompagnaient ses sanglots hachés. Harry était devenu l'un de ces êtres qui pleurent dans les rues. Il n'avait aucune honte, ça semblait si superficiel, la honte, l'embarras, le regard des autres et du monde sur soi, quand la gorge d'Harry se serrait à en empêcher l'air de passer. Il se sentait creux, vidé de toute sa vie, de toute la fougue qui l'avait un jour habité.

Harry continua de marcher, ne sachant trop où il allait. Il semblait à présent inutile d'avoir un but, il avait perdu toute résolution en quelques minutes. Il erra, donc.

Il vadrouilla.

Il vagabonda.

Et il finit ainsi par se perdre. Par se perdre dans la ville et dans la vie. Il n'avait plus le sens du temps ou de la réalité. Il n'avait le sens que de la douleur.

Soudain, l'estomac d'Harry se tordit péniblement et un haut-le-coeur lui prit. Il n'aurait probablement pas dû songer à la douleur. Il la sentit remonter comme une boule dans sa gorge, la douleur. C'était un truc sale et brûlant, une bile amère qui consuma sa tranchée en la traversant. Harry vomit sur le côté d'un trottoir new-yorkais. Il vida l'intégralité de ce qu'il restait dans ses entrailles sur la grille d'une bouche d'égout. Et ça brûlait, ça lui arrachait la gorge et l'oesophage et l'estomac tout entier. Ça lui arrachait la vie. Parce qu'il n'y avait que cela, une bile jaunâtre, épaisse et visqueuse. Surement l'incarnation même de la douleur. De la laideur.

Le choc fut tellement violent que de nouvelles larmes apparurent sur les joues déjà noyées d'Harry. Il les balaya du revers de la main. Et trouva la station de métro la plus proche pour rejoindre son hôtel.

Des jours qui suivirent, Harry n'en retiendrait certainement rien. Simplement parce qu'il n'y avait rien à retenir. Rien d'autre que la douleur en tout cas. De toute sa vie, Harry n'était pas certain d'avoir déjà été si peu alerte, si peu conscient du monde et de lui-même.

Far Away.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant