Vie quotidienne

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Je contemple l'eau. Assis au bord d'une falaise, les jambes tombants dans le vide, mes cheveux secoués par l'air marin, je me sens bien. Des gouttes roulent sur mes joues. Il ne pleut pas pourtant. Non, ce sont des larmes. Elles jaillissent des mes yeux, du plus profond de mon âme.

Je ne tente pas de les arrêter. Comme chaque soir, je les laisse sortir, témoins silencieuses de ma colère parfois, de ma peine souvent, de ma solitude toujours. Je suis si seul... seul au monde.

Un clocher se met à sonner au loin. Sans y penser, je compte les coups. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze... Il est 11h. Du jour ou de la nuit ?

Je lève les yeux. Mère Lune, mon unique confidente, me sourit de toute sa face blessée. « Rentre chez toi mon garçon, me chuchote-t-elle dans la nuit noire illuminée par des milliers d'étoiles. Rentre et dors, du plus profond des sommeils. »

Je soupire. Est-ce nécessaire ?

Je me lève et descends le petit sentier que j'ai monté une heure plus tôt. Je sens les traces de larmes sur mon visage mais ne les essuie pas. A quoi cela servirait-il ? La plupart des gens ici sont persuadés que je suis dérangé. Et les autres pensent simplement que je devrai être interné.

J'entre dans la ville. Ville séparée en deux : d'un côté les quartiers aisés, de l'autre les pauvres. Ville avec deux écoles, deux collèges, et deux lycées. A chaque fois, un privé et un public. Ville où l'éclairage public ne fonctionne vraiment que dans les quartiers aisés. Dans ceux des pauvres, s'il y a de la chance, les lampadaire clignotent faiblement. Sinon, c'est le noir complet.

Je remonte ma rue à pas de loup. Tout est silencieux, tout est noir. Heureusement que Mère Lune veille sur moi et m'indique doucement le chemin de ma demeure. Enfin... demeure est un bien grand mot. Une maison ? Non, plutôt une minuscule baraque constituée d'une pièce seulement, dont les murs ne sont que des planches collées les unes aux autres par je ne sais quel miracle, qui laissent passer le moindre courant d'air.

Arrivé devant la porte, je lève une dernière fois les yeux vers Mère Lune. Elle m'encourage de son sourire fracassé. J'inspire profondément. Puis pousse ce qui nous sert de porte.

- Sale chieur de merde ! Où t'étais passé p'tit con ? Réponds salopard !

Je me baisse juste à temps pour éviter la bouteille qui fuse vers moi. Le bruit de verre brisé résonne dans la nuit silencieuse. La porte ouverte laisse s'échapper une puissante odeur d'alcool mélangée à celle d'excréments. Mère Lune m'éclaire gentiment l'intérieur de ma « maison ».

D'abord les bouteilles. Il en traînent des dizaines sur ce qui nous sert de plancher. Vides, pour la plupart. Ensuite, la table. Bancale, pourrie, et renversée au beau milieu de l'unique pièce. Et enfin, sur un matelas tellement usé qu'il s'apparente plus à une paillasse, mon père.

Sa barbe et ses cheveux gris sont tellement gras qu'ils sont figés, sa bedaine dépasse de sa chemise déchirée et tachée de partout, et son caleçon est tellement vieux qu'il ne tient plus grand-chose. Je réussis à apercevoir ses yeux vitreux, autrefois aussi verts et vifs que les miens, avant de claquer la porte sur laquelle s'éclate une nouvelle bouteille. Ce n'est pas aujourd'hui que je pourrai dormir chez moi.

Je jette un regard désolé à Mère Lune. J'ai essayé, encore une fois. Et encore une fois, je vais devoir dormir à la belle étoile.

Ombre dans la nuit, je me faufile au milieu des rues sinueuses des quartiers pauvres jusqu'au No Man's Land, la frontière qui sépare les quartiers pauvres des riches. D'un coup, la chaussée défoncée laisse place à du goudron entretenu, et les baraques délabrées à des maisons toutes simples. Puis rapidement le goudron devient lisse, et les maisons de transforment en demeures à un voire deux étages, entourées de grands jardins fleuris.

Hannah, Tome 2 ~ Nos blessures invisiblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant