Nation Reptile

En avant, camarade Xue ! (4)

NON ! Il devait y avoir un moyen de traverser cette limite. Elle n'en était qu'à son deuxième jour de vie, elle ne pouvait pas abandonner maintenant !

Elle longea la muraille en restant à une distance respectable, jetant des regards craintifs à ses sentinelles d'acier. Le soleil avait disparu, les températures dégringolaient, ses muscles s'engourdissaient. Puisant dans ses dernières forces, elle grimpa sur le façade d'un immeuble et se mit en quête d'une canalisation chaude. La plupart étaient déjà recouvertes de petits Dragons qui s'y accrochaient avec hargne jusque dans leur léthargie, et elle dut poursuivre son escalade pour trouver une place.

Son sommeil fut plus léger que la veille, ses sens restant en semi-alerte constante. Son éveil fut vif, brutal, et elle ne perdit pas un seul instant pour poursuivre son exploration. Après un bref regard sur le panorama matinal pour s'orienter et constater que la muraille se déroulait jusqu'à l'horizon le plus lointain, elle redescendit en quelques bonds maîtrisés et se mit en quête de nourriture.

Elle constata que le rempart était aussi traversé par d'autres voies, non pas en bitume mais constituées de deux lignes de métal parallèles. Elle n'eut pas à attendre longtemps pour voir les portes s'ouvrir et laisser passer un long serpent métallique blanc, constitué d'une chaîne de blocs rectangulaires, qui filait au-dessus des rails avec un chuintement aérien. Partagée entre la curiosité, la fascination, la prudence et la peur, Xue suivit le train magnétique qui s'arrêta quelques centaines de pas plus loin pour vomir un flot d'adultes hagards.

Elle grimpa sur une construction pour obtenir une meilleure vue d'ensemble, juste à temps pour voir un deuxième convoi arriver en sens inverse. Celui-ci s'arrêta là où l'autre repartait, sur le quai où attendaient plusieurs dizaines de Dragons et de Sauriens, ouvrit ses portes et cracha quelques soldats. Les esclaves formèrent une file avec discipline, s'approchèrent l'un après l'autre de l'entrée des fourgons pour apposer le dos de leurs mains gauche sur un rectangle noir, attendre un signal sonore strident et se faufiler à l'intérieur. Sur les toits des wagons, d'imposantes mitrailleuses automatiques balayaient la zone en quête d'activité suspecte. Xue déglutit en remarquant les quelques petits ou adultes fraîchement empalés sur les tapis de pointes acérés qui recouvraient chaque voiture. Les soldats rejoignirent les esclaves et les portes se refermèrent avec un claquement sec, puis le train s'ébroua et accélérera en direction de la muraille pour franchir le portail ouvert. Depuis son perchoir, la petite Dragonne suivait des yeux le périple du serpent d'acier de l'autre côté de la frontière, l'observant s'arrêter devant des usines pour y déposer ses passagers, repartir et s'estomper dans l'horizon gris métallisé.

Les jours suivants furent consacrés à l'étude de ces esclaves adultes et de leurs aller-retours dans la zone industrielle matin et soir. Plusieurs fois elle parvint à se glisser dans les immeubles pestilentiels où ils s'entassaient, vidés de toute énergie, entre deux journées ou deux nuits de travail abrutissant, pour constater que la faim et la chaleur pour la nuit ne semblaient pas être leurs principales préoccupations.

Le temps passa vite et les choses s'éclaircissaient à mesure qu'elle poursuivait ses explorations. Jour après jour, elle sentait son corps grandir, ses muscles s'épaissir et ses écailles se durcir, développait son intelligence et apprenait le langage parlé autour d'elle. Une certaine routine s'installa : découvrir de nouveaux endroits, se tapir dans une ruelle lors des aller et venues des camions-bennes et de leurs escortes chaque aube, zénith et crépuscule, chercher de la nourriture en évitant les décharges, décamper à la moindre menace, regarder les avions cargos qui traversaient régulièrement le ciel, monter le plus haut possible chaque soir pour se coller à une source de chaleur et contempler l'utopie étincelante.