Soif de sang (2)

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La Reptile masquée lâcha son guidon, frappa sa poitrine du poing gauche et le tendit vers Xue en un mouvement sec, précis, mécanique. Une voix puissante, rauque et altière, jaillit des valves du masque comme pour accompagner le bras raide.

— Invincibilité et immortalité, camarade esclave !

L'intense conviction d'un tel salut frappa de plein fouet la jeune Dragonne, qui cligna des yeux et bondit du cockpit pour fouler la mer de débris. Elle s'approcha de la citoyenne avec une démarche menaçante, non sans avoir ramassé une barre de métal.

— Joli anneau que tu as là, camarade ! poursuivit la citoyenne. À ta place je n'essayerais pas ça. Je ne me serais pas risquée seule dans les banlieues si je ne savais pas défendre mes écailles.

Xue s'était arrêtée à un pas de l'engin. Celle qui lui faisait face n'émettait aucune odeur corporelle, seulement les fragrances du plastique de sa combinaison, le parfum de l'acier fraîchement usiné qui habillait sa monture et le délicat arôme de la quintessence des carburants qu'émettait le moteur ronronnant, le tout surmontant à peine la pestilence ambiante. Derrière la Dragonne, les autres petits et jeunes adultes s'étaient reculés, immobiles et apeurés aussi bien par la bête que par sa propriétaire.

— Exactement ce que je cherchais, continua cette dernière. Enfin, j'aurais bien sûr aimé voir le reste du butin, mais comme presque tout est désormais à l'état de métal fondu, je ne vais pas m'en plaindre. On peut dire que tu as eu une sacrée chance de mettre la main dessus, et moi d'être tombée sur toi. L'endroit du crash n'a pas été aussi facile que ça à trouver.

Xue n'avait rien compris. Son interlocutrice employait une version plus complète, beaucoup plus complexe, du langage qu'elle était habituée à entendre dans les rues de la banlieue. Et l'absence de phéromones n'en facilitait pas le décryptage. Mais le rythme respiratoire de la motarde et les légers tremblements qui agitaient ses mains laissaient entrevoir une certaine nervosité. La citoyenne sembla s'agacer, fit un signe de tête en direction du squelette calciné de l'avion cargo et articula :

— Raconte-moi. Cet anneau, comment tu l'as trouvé ?

La jeune Dragonne hocha la tête, inspira et se mit à parler. Comme à chaque fois que sa langue vibrait en une suite de sons intelligibles, c'est à dire en de rares occasions, sa propre voix, grave et éraillée, la surprenait.

— Chef d'avant l'a trouvé dans une boîte après accident. Il a ouvert la boîte, j'ai tué le chef, j'ai pris le truc que les ennemis des écrans ont dans leurs narines.

— Vraiment ? Intéressant ! J'aime ceux qui n'ont pas peur d'utiliser la violence, comme toi. De vrais Reptiles. Mais cette saine violence se doit d'être canalisée au bénéfice de la Nation et des Guides, tu en es consciente ?

— Hein ?

— Laisse tomber. Tu vas faire quoi avec ? De cet anneau, je veux dire.

— Je sais pas encore.

Ses faibles compétences linguistiques mettaient Xue en colère. Elle voulait impressionner la citoyenne, pas s'humilier.

— Sais-tu pourquoi quelqu'un comme moi décide de se promener dans un endroit comme celui-ci ? demanda cette-dernière.

— Non. Mais tu vas me le dire après.

— Tu as sûrement dû voir la dernière bataille, pas vrai ? Celle où on a fini par arrêter leur armada. Nos troupes spéciales ont abordé de nombreux navires ennemis. Et récupéré un butin de très haute valeur culturelle. Des objets d'art, des écrits, des armes de parades, des anneaux de haut gradés. Un véritable trésor, acheminé par cargo spécial jusqu'aux ports les plus proches. Puis transporté par avion jusqu'à la Mégalopole. Et ce foutu typhon est arrivé de nulle part. Résultat, beaucoup de ces trophées sont partis en fumée où enterrés quelque part dans toute cette merde.

La citoyenne tourna la tête vers les soutes déchiquetées du mastodonte ailé.

— Après le crash, la Sécurité n'a pas réussi à récupérer grand chose. Je me suis dit que je ne perdais rien à me rendre sur place, des fois que des petits malins comme toi auraient réussi à récupérer quelque chose qui aurait échappé aux autres.

— Machines ont bien regardé avant partir. Moi et ma bande ont bien regardé après. Seulement cet anneau. Tout le reste : détruit. Rien d'autre récupérable.

— Bah, c'est mieux que rien.

La motarde masquée se pencha vers Xue.

— T'as une idée de la valeur du bout de métal que t'as dans les narines ?

Xue grogna, irritée qu'on puisse la prendre pour une abrutie.

— Très importante, après ce que toi as dit, cracha-t-elle.

— Et comment. C'est un anneau que portent les pilotes de Grands Ancêtres.

— Ancêtres ?

— Leurs gros monstres volants ! Tu sors d'où, toi ? Si l'on en croit la phylogénie, les actuels Dragons seraient leurs lointains descendants. On les pensait éteints depuis des millions d'années, mais ces salopards ont trouvé le moyen de les ramener à la vie. Et par grappes de mille. Ceux qu'ils envoient s'écraser sur les navires sont de Petits Ancêtres, visiblement moins compliqués à multiplier. Les Grands Ancêtres, qui eux crachent du feu, ne sont pas sacrifiés à la légère. Tu piges ?

— Non.

— Tu fais chier. Le truc pour lequel t'as buté ton ancien chef est en or pur. Il était sûrement porté par l'un de leurs officiers supérieurs. Inestimable.

Xue siffla.

— Toi espères que je te donne ?

La citoyenne renifla de nouveau, cette fois avec mépris.

— Tu comptes en faire quoi, camarade ? Le manger ?

L'esclave brandit sa barre de fer, menaçante, épines et écailles raides de colère.

— Il est à moi ! cracha-t-elle. Si tu veux l'avoir, tu te bats au lieu de parler !

— Je comptais plutôt te proposer un échange... 

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