Un casque militaire intégral gravitait avec douceur autour de Métisse alors que celle-ci contemplait Kyojin par la fenêtre de sa chambre. La fermeture éclair de sa combinaison violette se referma d'elle-même alors qu'elle glissait des gants sur ses doigts. L'Hybride enfila d'épaisses bottes noires, puis un long manteau violet. Plus sa silhouette était dissimulée, mieux c'était. Le casque, modifié pour la jeune adulte, doté de filtres respiratoires par lesquels elle pouvait inspirer des drogues en plus d'être protégée de la pollution du centre-ville, vola vers sa tête et se replia sur son crâne et son museau.
Après d'âpres négociations avec une Lumière un peu trop protectrice à son goût, Métisse avait reçu la permission de parcourir Kyojin de jour et de nuit, à condition de se dissimuler en intégralité pour ne pas révéler sa nature avant la Jour des Guides. Désormais familiarisée avec la ville, Métisse Eau-et Feu allait faire sa première sortie en tant qu'héroïne ce soir-même. Après plusieurs mois passés à s'exercer en cachette, en marge de sa rééducation et de ses cours de rhétorique, elle estimait suffisante la maîtrise de son pouvoir. Elle allait rouler pendant toute la nuit et mettre ses capacités en pratique aux quatre coins de la capitale.
Si elle se montrait à la hauteur de ses propres attentes, le lendemain matin, son alter ego masqué serait célèbre, peut-être même déjà indispensable à la sûreté des rues. Le surlendemain, elle ferait son premier discours en public à l'occasion du Jour des Guides, et si tout se passe comme prévu le peuple l'adorera. Il lui suffira alors de révéler son incroyable pouvoir à la Nation entière et le triomphe serait en marche.
Ainsi vêtue, Métisse quitta sa chambre, puis marcha vers l'ascenseur en consultant son communicateur. Elle fit défiler les nouvelles du jour d'un geste du pouce, à l'affut d'un quelconque accident industriel ou activité criminelle.
Les appartements de Métisse se trouvaient au sommet de l'interminable tour de la Connaissance, à plus de mille cinq cents pas du sol. Derrière les vitres épaisses de l'ascenseur, la citoyenne s'imaginait les violentes bourrasques d'un air raréfié qui tentaient de faire ployer le long pic. Elle apposa le code-barre de son poignet sur le lecteur, effleura le bouton du sous-sol.
Descendre vers la mégalopole lui apportait une sensation d'absolue sérénité, surtout au coucher du soleil. Quoi de plus reposant que de contempler cet océan naissant d'étoiles multicolores ?
L'ascenseur parvint aux garages et Métisse marcha au milieu des luxueuses automobiles des hauts dignitaires scientifiques. Elle approcha de sa moto, s'installa sur le siège, apposa son code-citoyen sur le lecteur et fit démarrer le moteur. Le parfum de la quintessence des carburants se mêla au délicat arôme de l'acier découpé au laser et se glissa à travers les valves de son casque. Les vibrations mécaniques s'accordaient à celles que lui envoyaient les multitudes de pièces métalliques, mais Métisse résista à la tentation de leur répondre. Elle enclencha l'accélérateur et le fauve à deux roues s'élança. Elle dut cependant s'arrêter à la sortie du garage, en queue d'une file de véhicules, devant la muraille épaisse, hérissée de barbelés, canons et mitrailleuses, qui protégeait les fondations du gratte-ciel. Alors qu'elle patientait, ses yeux se posèrent sur les quatre mechas qui surveillaient les entrées et sorties.
Métisse se sentait toujours gagnée par une sensation d'absolue sécurité mâtinée de jalousie chaque fois que ces merveilles technologiques étaient dans les parages. Elle s'abandonna un instant à leurs vibratos complexes. Elle visualisa sans peine les pilotes nichés en leurs cœurs, centres nerveux connectés à leur machine par des câbles supraconducteurs, manœuvrant de telles perfections comme des corps de substitution. Des corps de guerriers ultimes, d'indestructibles remparts aux ennemis de la Nation, invulnérables aux malformations pulmonaires, atrophies musculaires, dérèglements métaboliques, déficiences immunitaires ou violentes migraines.
Métisse ajusta discrètement son casque, puis fit avancer sa moto vers une borne qui surgissait du sol devant l'ouverture de la muraille, encadrée de deux soldats de la Sécurité, armures noires intégrales et fusils automatiques au poing. Sa main gauche quitta le guidon et apposa son dos contre le rectangle translucide. Le calculateur ignora la fine épaisseur du gant pour lire le code barre imprimé à même les écailles, ronronna et afficha nom et matricule sur un écran, tout en laissant un vide là où devait apparaître le visage. Les deux soldats semblèrent hésiter, et Métisse retrouva sa nervosité.
— Les citoyens de rang supérieur doivent aussi se faire contrôler, maintenant ? s'agaça-t-elle.
L'un des contrôleurs ne sembla pas apprécier son arrogance.
— On s'attend à de nombreux attentats cette nuit, camarade, et n'importe quel citoyen est pour nous un terroriste potentiel, grogna-t-il.
— Mais si tu sais reconnaître cette racaille au premier coup d'œil ou de narines, partage donc ton expérience avec nous, renchérit le second.
Métisse grogna.
— Message reçu, camarades. Vigilance maximale.
— Ça nous faciliterait la tâche. Tu peux circuler, camarade. Kyojin victorieuse !
— Invincibilité et immortalité ! répondit la jeune adulte avec soulagement avant d'accélérer dans l'ouverture du rempart.
VOUS LISEZ
Nation Reptile
Science FictionBienvenue dans la Grande Nation Hybride, archipel peuplé de Dragons et de Sauriens, sous le joug totalitaire de Mère et de Père, Guides et Élus de l'Évolution. Xue, une Dragonne, a éclos dans l'insalubre ghetto de la capitale et compte bien échappe...