Le Miracle de Métisse (5)

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Assise face à une cuvette à même le carrelage glacé, dos contre la porte verrouillée et jambes repliées contre elle, l'Hybride tendait les ouïes et les narines, à l'affut du moindre cliquetis menaçant ou de la plus infime phéromone agressive. Elle n'osait bouger et n'avait aucune idée du temps qu'elle avait passé cloîtrée dans ces toilettes publiques, dénichées au dernier niveau d'un parking souterrain. À chaque respiration, elle s'attendait à ce que des soldats de la Sécurité fassent irruption avec fracas et ouvrent le feu à travers la porte de sa cabine.

Et elle doutait être capable de se défendre : une féroce migraine menaçait de brûler ses synapses. Elle percevait à peine les vibrations des robinets et de l'eau des cuvettes. Faire voler des appareils électroniques et agiter la flamme d'un briquet étaient une chose, arrêter un monstre d'acier en pleine course et contenir une vague de feu hurlante en était une autre. Même sur ses éléments de prédilection, son pouvoir avait des limites.

Après l'accident, elle avait roulé comme une folle, bifurquant sans logique, sans décélérer. Elle avait cru à plusieurs reprises qu'un drone de surveillance la prenait en chasse, ne se rassurant qu'à moitié lorsque l'engin ailé n'adaptait pas sa trajectoire à celle, erratique, de la motarde. Elle s'imaginait encore le regard de tous ces senseurs optiques la transpercer de part en part. Il fallut un début de crise pour la forcer à trouver quelque part où s'arrêter en urgence. Alors que son corps menaçait d'échapper à son contrôle et que son cerveau semblait sur le point d'imploser à chaque respiration, elle avait foncé vers un parking souterrain plus ou moins isolé à la bordure de la zone industrielle. Résistant à l'envie de détruire le moindre obstacle sur son passage, elle avait soulevé la barrière d'entrée et roulé jusqu'en bas, s'assurant que personne ne la suivait. Elle avait brutalement freiné dans le coin le plus assombri, ouvert son coffre et extrait ses vêtements de rechange et médicaments avant de se précipiter vers les sanitaires. Celles-ci étaient surveillées par un modèle assez ancien de capteur, bien visible dans un coin de la pièce, qu'une Métisse secouée de tremblements s'était empressée de détourner vers le plafond.

Une fois enfermée dans la cabine la plus éloignée de l'œil électronique, l'Hybride avait utilisé toutes les seringues qui lui restaient, calmant de justesse les effroyables soubresauts de ses membres et la terrible migraine. Le puissant dosage d'anti-douleur l'avait assommée. Elle s'était efforcée de garder un esprit vide, pur.

Personne ne semblait arriver pour elle. Seulement quelques citoyens qui venaient satisfaire un besoin organique. Métisse décida de retirer son masque et l'étudia en le tenant à bout de bras. La Sécurité ne l'avait peut-être pas poursuivi aujourd'hui, mais des dizaines, peut-être des centaines de senseurs optiques avaient enregistré l'accident et le visage à filtres noirci. Il ne faudrait guère de temps aux opérateurs pour faire le tri des images et étudier les plus suspectes. Ils remarqueront le même faciès près de l'explosion d'un restaurant rapide sur le Quai des Saveurs. Peut-être allaient-ils ensuite remonter jusqu'à ces toilettes. Mais pas maintenant. L'attention devait être concentrée sur les attentats, pas sur les parking souterrains. Elle avait encore du temps.

Métisse sut qu'elle devait se débarrasser du masque à gaz hathï. Si quelqu'un trouvait l'objet dans ses affaires, objet qui plus est acheté au marché noir, le lien serait vite fait entre elle et cette future suspecte que la Sécurité allait sans doute traquer à travers toute la ville. Cette même Sécurité qu'elle avait tant voulu aider dans sa tâche purificatrice... Hybride aux gènes des Guides ou pas, Métisse ne tenait pas à devenir pensionnaire de ces inquiétants camps de rééducation qui se multipliaient à travers le pays. L'ironie était deux fois trop cruelle.

À contrecœur, elle laissa tomber le caoutchouteux faciès ennemi dans la cuvette et actionna la chasse d'eau. Puis elle se leva et se déshabilla en vitesse. Elle s'enduit le corps d'un produit nettoyant pour éliminer les odeurs douteuses, puis revêtit sa combinaison violette et son casque à inhalateurs. Elle chiffonna la combinaison noire, celle-ci, empestant la cendre et l'urine, pouvait finir dans une simple benne à ordure.

Elle sortit de sa cabine au moment où quelqu'un entra dans la pièce. Métisse se figea, puis se détendit en voyant un vieux Dragon en combinaison orange pousser un chariot de nettoyage. L'individu, probablement un esclave de l'Industrie, émit une odeur fatiguée à la citoyenne et se mit à passer la serpillère sans attendre.

Celle-ci resta tétanisée, puis se retourna pour se précipiter vers la cabine qu'elle venait de quitter. Claquant la porte derrière elle, elle se concentra sur la cuvette et se mit à palper la tuyauterie et l'eau qui la remplissait, jusqu'à sentir un objet souple bloquant le conduit. Surmontant son dégoût, elle contracta son muscle télékinétique et extirpa ce qui s'avéra être le masque à gaz hathï. À en juger par l'apparence et l'odeur, celui-ci n'était heureusement recouvert que d'eau.

Jeter aux égouts ce trésor qui lui avait coûté toutes ses économies et fonctionnait à la perfection ? Un trésor témoin d'une victoire et détenteur de secrets ennemis ? La fierté de Métisse avait repris le dessus sur sa panique. Elle ne pouvait pas se débarrasser aussi grossièrement d'une telle merveille.

Elle essora le masque et le dissimula dans la combinaison noire, puis sortit en trombe. Le vieux Dragon, qui avait interrompu son nettoyage pour essayer de redresser le capteur, lui jeta des phéromones intriguées. Métisse l'ignora et jaillit hors de la pièce pour foncer vers sa moto.

Il y avait forcément une solution. Et elle venait d'en trouver une.


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