Chapitre 14 ~ En son pouvoir

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La menace d'Evandro a eu raison de mon dernier sursaut de combativité.Je ne quitte plus la hutte. Ramassée sur moi-même, j'entretiens mollement le feu de l'habitation et m'occupe l'esprit en essayant de tenir la promesse faite à Vaän : finir sa chanson.Hélas, les rimes me sont difficiles, le cœur n'y est plus.

Il était ma muse, et je l'ai perdu.


You were my muse, but I lost you,

Where are your arms, those who kept me warm ?


[Tu étais ma muse, mais je t'ai perdu,

Je me demande où sont tes bras,

ceux qui me tenaient chaud ?]


Une vieille Picte aux cheveux hirsutes se faufile dans l'ouverture,interrompant mon élégie, et dépose une écuelle à mon attention.

Un morceau de viande tiédasse se bat en duel avec une grappe de raisin gâtée et quelques noisettes jetées pêle-mêle. Je n'ai pas faim, mais jeûner n'aidera pas dans ma situation, alors je me force.

Rien n'a de goût. Ni la viande, d'origine indéterminée — ça pourrait tout aussi bien être du rat, ça m'est égal —, ni les fruits suintants, qui devraient pourtant avoir une saveur fermentée.Plus étrange encore : les noisettes ne produisent pas le moindre craquement sous ma dent. J'ai l'impression d'ingérer de la cendre, à ceci près que la cendre aurait au moins un goût.

Les bons petits plats que la grosse dame préparait à l'auberge me manquent, ainsi que la présence silencieuse, mais apaisante, de Vaän, qui partageait chacun de mes repas. Penser à lui me donne le cafard, mais le chasser de mon esprit reviendrait à laisser partir une partie de moi, une de plus...


The lack of you makes me blue,

Now I miss you, I really do...


[Le manque de toi me donne le cafard,

maintenant tu me manques, tu me manques vraiment...]


Pour tromper l'ennui le jour suivant, je fouille mon habitation sommaire, et déniche de quoi bander mes pieds à vif pour me confectionner des chaussures de fortune.

Une guerrière peinte s'invite dans mon antre au moment où j'achève d'emmailloter mes orteils. Plutôt petite, toute en muscles, elle est coiffée d'une tête de loup et armée d'une lance dont elle se sert pour me pousser hors de la hutte. Je ne proteste pas, peu désireuse de tâter du bâton, et me laisse guider au-delà du cromlech, en direction des bois.

Mes jambes rechignent à s'activer, je titube et me retiens aux arbres sur mon chemin. À mesure que nous approchons du cœur de la forêt,la végétation se densifie et les ronces ralentissent considérablement notre progression. Ce qu'il me reste de jupe protège mal mes mollets de la morsure des épines.

Lassée d'être sur mes talons, la Picte passe devant et s'engage sur une piste animale à peine assez large pour y poser le pied. La queue de loup qui se balance entre ses jambes rend sa démarche peu conventionnelle. J'ai l'impression de suivre un canidé dressé sur deux pattes...

Vivre au plus près des Pictes m'a permis de comprendre que tout ceci n'est qu'un vaste subterfuge destiné à abuser l'ennemi. Ils se travestissent en animaux pour se donner des airs de monstres invincibles, mais sous leur apparence de bêtes, ce sont bien des hommes et des femmes qui me ressemblent. Vulnérables et mortels.Est-ce que les gens d'Azan le savent ?

Qui es-tu ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant