Chapitre 13 ~ L'homme au masque de picte

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Plusieurs jours ont passé. Je ne saurais dire combien car je dors beaucoup.Mes blessures à la tête ont cessé de saigner, mais lorsque je palpe mon cuir chevelu je ne peux ignorer les bosses qui déforment mon crâne et sont en partie responsables de ma léthargie chronique.

Livrée à moi-même, j'ai trouvé refuge sous un petit dolmen à l'écart sur la plaine. J'y vis tapie comme une bête, la faible hauteur sous les pierres ne me permettant pas de me tenir debout. Faute de pouvoir faire différemment, je dors à même le sol, me désaltère aux filets d'eaux qui ruissellent sur la roche à chaque averse, et me nourris de ce que daignent me jeter mes geôliers. C'est à dire des carcasses et autres aliments en partie déjà mâchés.

Si j'ai de la chance, je trouve de la viande à ronger sur un os de faisan ou une échine de marcassin. Les mauvais jours, les cadavres de ragondins s'amoncellent devant mon terrier en attirant les mouches. J'ai beau repousser ces horreurs sans y toucher, la charogne empeste dès que le vent tombe.

Des Pictes ou moi, qui est l'animal désormais ?

J'ai bien essayé de me sauver, mais, en l'état actuel de mes forces,c'est à peine si je peux marcher jusqu'aux arbres quand l'envie de satisfaire un besoin naturel se fait sentir. À la place, je m'interroge inlassablement sur les raisons de ma présence ici. Les Pictes ne semblent nourrir aucun dessein particulier pour moi, si ce n'est celui de me laisser dépérir sous mon dolmen.

Est-ce qu'ils attendent que je meure d'épuisement pour se repaître de mon cadavre ? Non, ça n'a aucun sens. Pas que je doute qu'ils aient des penchants cannibales, en revanche, pourquoi m'affamer si c'est pour me manger ? Je ne suis déjà pas bien épaisse,d'ici peu il ne leur restera rien à se mettre sous la dent.

Aujourd'hui, il pleut à verse et je grelotte en continu sous mes vieilles pierres. La température flirte avec le zéro, une vilaine toux me secoue les bronches. Je ne sens plus mes membres. Déplier les doigts me prend parfois une heure, quant à mes dents, elles claquent si fort que je dois mordre dans ma paume afin de soulager mes mâchoires.

Sans les bons soins de Vaän, mes extrémités sont vite retombées dans leur insensibilité mortifère. Pour ne rien arranger, une puissante brise marine s'est levée avec le jour. J'en déduis que le campement picte est établi près d'une falaise ou d'une plage.C'est donc que je suis sacrément loin de... de quoi déjà ?Étrange. J'ai le mot sur le bout de la langue, l'image prête à se former dans mon esprit, pourtant, impossible de me rappeler ce dont il s'agit.

Ma mémoire non plus ne va pas en s'arrangeant.

Une effervescence toute particulière éveille soudain la tribu et fait éclater ma bulle de morosité. Je suis trop faible pour quitter l'appui du bloc de pierre dans mon dos, mais ouvre grand les yeux sur la horde de guerriers peints qui sort du sous-bois.

Des villageois se portent à leur rencontre avec un enthousiasme flagrant. Certains parmi les nouveaux venus sont coiffés de têtes de loups et couverts de peaux de bêtes — à l'instar de ceux qui m'ont enlevée —, ce qui leur donne l'air de créatures fantasmagoriques. C'est l'un de ceux-là que Vaän a tué dans la forêt le jour de notre rencontre. L'a-t-il vraiment tué du reste ? Je ne suis plus très sûre de ce que j'ai vu à présent. Ou de ce qu'ils sont.

Un roulement de sabots se fait entendre sur la plaine. L'excitation des Pictes monte d'un cran. Le menton levé vers le ciel, ils poussent de longs cris entre le chant bestial et l'exultation humaine. Une cacophonie sans nom s'ensuit. Je rentre la tête dans les épaules, le cœur battant d'angoisse. Que quelqu'un me réveille, c'est un cauchemar !

Le sol vibre sous mes paumes, arrêtant ma réflexion. Un robuste petit cheval blanc caracole dans ma direction. Sur son dos, un homme torse-nu... non, un picte !

Qui es-tu ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant