Chapitre 3 ~ Moi Tarzan, toi Jane

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J'ouvre les yeux sur un enchevêtrement de poutres déformées par le poids des années. Les toiles d'araignées qui pendent du plafond sont légion.

J'ai le corps glacé et la gorge meurtrie. À tâtons, je cherche un interrupteur ou une lampe de chevet. Les murs sont rugueux, un dépôt brunâtre se forme sur mes doigts. Je me trouve dans une chambre aux allures de cellule de monastère. Une table encombrée de chandelles consumées trône devant l'unique fenêtre. Je repose sur un matelas bourré de paille, un cadre de lit en gros bois fait office de sommier. Très spartiate.

La faible clarté distillée par l'aube me permet de distinguer une forme humaine assise dos à la porte. Mon cœur rate un battement. C'est l'homme de la forêt, celui que j'ai bêtement suivi ici et qui m'a asphyxiée jusqu'à l'inconscience ! Il paraît là depuis des heures, et je ne doute pas qu'il m'ait regardée dormir, ce sale pervers !

— Qu'est-ce que vous me voulez ? Et arrêtez de faire semblant de ne pas me comprendre !

Je me découvre presque aphone, conséquence directe de ma strangulation.

Le chasseur continue de m'épier de ses yeux gris dénués du moindre remord. Je note qu'il a troqué ses frusques de sauvage pour des vêtements plus « urbains ». Une chemise médiévale de couleur claire habille son buste, tandis qu'un pantalon de cuir très ajusté lui donne une longueur de jambes démesurée. Ses cheveux sont mouillés et ébouriffés sur sa tête. Il ne pleut pas dehors, c'est donc qu'il s'est lavé, ce qui – d'après mes propres observations – relève de l'exploit par ici.

— Vous avez essayé de me tuer ! accusé-je, tentant de lui arracher une réaction, n'importe laquelle.

Je vérifie discrètement mes habits, redoutant ce qu'il a pu me faire pendant que je dormais. Tout est en ordre. Je n'ai pas l'air d'avoir été déshabillée – ni rhabillée – pendant mon sommeil.

En partie rassurée, je m'avance au bord du lit au moment précis où l'autre tordu esquisse un mouvement. Nous nous dévisageons en chien de faïence. Voyant que je ne bouge plus du tout, il se décide à prendre la parole. Je le regarde bêtement. Il appuie une main sur son torse et réitère ses propos. À n'en pas douter, il me fait le coup du « moi Tarzan, toi Jane ».

Piquée au vif, j'essaie d'appréhender le prénom étrange qui sort de sa bouche. Il doit avoir dans l'idée que je ne suis pas du genre futée, car il répète en laissant traîner sa voix plus que de raison.

— Vannes ? Comme la ville ? Tu me prends pour une c..

Il secoue la tête avant que j'aie achevé ma phrase. Je m'efforce de conserver mon sang froid, faisant fi de la colère qui bat mes tempes.

Il est plus fort que toi Maë, tu ne peux pas te le mettre à dos. Il faut gagner du temps, lui parler, apprendre à le connaître...

— Hhmm, Vahan ? essayé-je de mauvaise grâce.

Ah, c'est presque ça on dirait ! Je ferme les yeux pour m'imprégner de cette sonorité inconnue et fais une dernière tentative :

— Tu t'appelles Vaan, c'est ça ?

Le chasseur hoche imperceptiblement la tête. J'imprime son prénom dans ma mémoire, bien que je doute de pouvoir l'oublier de sitôt : il est la seule personne que je connaisse ici.

Voyant qu'il me regarde fixement, je me rends compte qu'il attend de moi la même chose.

— Maëlle, fis-je le plus clairement possible. Mais je préfère Maë.

Maë (1) ?

Il éclate de rire et secoue la tête comme s'il était hors de question qu'il s'abaisse à m'appeler par mon diminutif. Je sens la moutarde me monter au nez mais, une fois encore, il n'est pas dans mon intérêt d'entrer en conflit avec mon geôlier.

Qui es-tu ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant