Chapitre 21 ~ La Naïade de mes songes

22 4 4
                                    

« Le Glasgow » est un drôle de bar, à la croisée du pub irlandais fatigué et du PMU local. De ce que j'en vois, le propriétaire a tenté de remettre l'établissement « au goût du jour » à grand renfort de peinture grise et blanche. Pas franchement un succès.

Une pléthore d'autocollants sportifs couvre les baies vitrées pour appâter adeptes du tiercé et fous de ballon rond. Ambiance jeux à gratter et sol en mosaïque garanti. Tout ce que j'aime...

Un mouvement derrière l'une des vitres me coupe dans mon observation. Une fille se précipite à ma rencontre, les yeux brillants, le sourire enjôleur :

—Tu es venu ! J'avais peur que... mais tu es là, c'est juste énorme !

Elle s'accroche à mon bras, s'écrasant contre moi comme si elle allait me rouler une pelle. J'arque un sourcil et me redresse. Mon mouvement de recul a le mérite de calmer ses ardeurs, elle me lâche aussitôt, sourcils froncés.

—On dirait que je ne t'ai pas laissé un souvenir impérissable. Je suis Lisa, tu te souviens ? On s'est croisés aux urgences.

—Hum, ouais.

Je la détaille rapidement : filiforme, de longs cheveux noirs et des yeux charbonneux, une chemise à carreaux, des collants filés, sans oublier les Doc Martens et le fameux t-shirt de Nirvana. La panoplie complète de la poupée grunge, en somme.

—Si tu ne veux plus le faire, je comprendrai, s'agace-t-elle devant mon mutisme.

—Je suis là, non ? Autant aller jusqu'au bout.

—Attend, dit-elle en se mettant en travers de mon chemin. Je me demande si c'est une bonne idée, finalement...

L'inquiétude qui transparaît dans sa voix me fait regretter d'avoir été si brut de décoffrage. En dépit des apparences, j'ai vraiment envie d'être là. Je soupire et passe une main dans mes cheveux :

—Je suis un peu stressé...

—Moi, je te trouve plutôt stoïque.

—C'est pas le cas, j'appréhende sa réaction. Pas toi ?

—Je suis tellement excitée que j'en ai pas dormi de la nuit !

—Moi non plus.

—Alors on est sur la même longueur d'ondes. Affiche un sourire sur ta face et suis-moi !

Elle m'attrape par la manche et me traîne de force dans le pub. Enfin, j'exagère. À vue d'œil elle fait la moitié de mon poids, mais l'idée est là.

À l'intérieur, le proprio s'est salement lâché. Outre un tour de bar en néons bleus, il a recouvert les murs de bandes de peinture rouge et blanche. J'en viens à apprécier les nombreuses affiches aux forts relents underground placardées un peu partout en parfaite anarchie. Pas que ce soit ma tasse de thé, c'est même tout l'inverse, mais c'est la seule chose qui m'empêche de me sentir totalement à l'intérieur d'une canne à sucre.

L'endroit est désert, à l'exception de trois personnes perchées sur une scène encombrée de baffles et de câbles. La poupée grunge me parle de répétition, de groupe, mais je n'écoute que d'une oreille.

Y'a effectivement un mec qui baille aux corneilles derrière une batterie, et un autre en plein trip avec sa guitare. Moi, ce qui retient mon attention, c'est la fille assise sur scène.

—Regardez qui je ramène !

Les deux types, je peux presque les entendre penser « c'est qui ce connard ? ». La fille en revanche, son regard bleu saute dans le mien avec une intensité qui me fait perdre pieds.

Qui es-tu ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant