Chapitre 1

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Olympe porta son verre en cristal à ses lèvres. Il était grand temps que ses maux de tête cessent et une gorgée d'eau ne lui ferait pas de mal. Les mains tremblantes, elle reposa son verre à la position exacte où il se trouvait auparavant : rien n'était laissé au hasard, à la table de la famille royale. Le silence de la salle était assourdissant et la luminosité aveuglante. Tout était trop vif pour l'esprit sombre de la princesse, seule tache foncée qui venait perturber ce décor entièrement blanc. Car malgré sa robe claire et son teint blafard, Olympe possédait une caractéristique encore jamais vu à Arcalya et même dans le monde magique depuis la nuit infinie : elle avait les cheveux noirs. Son père l'avait détestée pour cela, et elle l'avait bien compris. Privée de sortie depuis sa naissance, la future reine ne connaissait rien du monde qu'elle s'apprêtait à gouverner. Coincée entre les murs blancs du château, elle vivait dans une captivité étouffante, dans la crainte du démon qui sommeillait en elle. C'était la théorie : si Olympe avait les cheveux noirs, un démon l'habitait, il n'y avait pas d'autre explication. Il ne s'était certes pas encore manifesté mais il était là. Il n'avait certes pas été détecté aux centaines de tests que la princesse avait dû endurer mais il était là, dissimulé dans ses entrailles, patientant. Olympe ne le craignait plus, elle s'était habituée à sa présence invisible et venait même à douter de sa réelle existence. Cependant, toutes les personnes à sa connaissance (ce qui se réduisait aux résidants du château), éprouvaient une réelle peur à son égard.

Olympe jeta un coup d'œil vers son frère Zéphyr, qui avalait une cuillère de baies bleues, spécialité d'Arcalya. Malgré son jeune âge et son comportement enfantin, le prince cadet comprenait parfaitement son devoir royal. De fait, il se tenait droit, mangeait proprement et de façon modérée, contrôlant son adoration des baies bleues. A la vue de son jeune frère, si sérieux et si strict, Olympe baissa la tête. Malgré l'horreur que cela représentait pour elle, la future reine était soulagée d'être l'héritière. Son frère ne méritait pas de subir ce qu'elle avait subi toutes ces années. Olympe avait presque vingt-ans, âge de la majorité sur Arcalya. Cela signifiait que son couronnement et son mariage auraient lieu prochainement. En réalité, et en toute honnêteté, car Olympe n'arrivait pas à se l'avouer, son mariage avait lieu le lendemain. Cela restait un sujet sensible et la princesse essayait d'éviter d'y penser. Elle était d'ailleurs persuadée que ses maux de tête provenaient de la préparation de cette évènement répugnant.

Repenser à son mariage eut l'effet d'un coup de point dans le ventre d'Olympe qui laissa tomber sa fourchette dans son assiette, faisait gicler les baies bleues qui s'écrasèrent sur sa robe claire, dans un fracas qui resonna dans la salle à manger.

Tous les regards se posèrent sur elle.

Tous, mais surtout celui de son père, qui lui lança un regard si noir que s'en devenait illégal. Littéralement. A Arcalya, tout ce qui s'apparentait à du noir ou du foncé était banni, même les regards. Cependant le roi était le roi, il avait tous les droits, mais là n'était pas la question.

Olympe frissonna, elle ne devait pas se laisser submerger par ses émotions, elle ne devait pas devenir vulnérable devant son père. Elle ferma ses yeux gris quelques secondes et prit une grande inspiration. Quand elle les rouvrit, son père la fixait toujours. Elle détourna les yeux et croisa le regard de sa mère, si bienveillant, si effrayé. Car sa mère savait le traitement que réservait le roi à sa fille lorsqu'elle commettait des impairs. Elle avait déjà vu. Elle n'avait jamais rien fait.

Le roi se racla la gorge et la reine baissa les yeux. Elle n'allait jamais à l'encontre de son mari. Jamais. Cependant elle voyait la panique dans les yeux de sa fille et elle connaissait l'angoisse intense du mariage, qu'elle-même avait ressentit des années plus tôt. Elle tenta donc de prendre les devants :

- Ton mariage à lieu demain, Olympe. Tu essaieras de te détendre...

- Là n'est pas la solution, Izilbeth, coupa le roi. Elle ne doit pas se détendre, elle doit pallier ses troubles de comportements et son manque d'éducation. Elle constitue déjà à elle seule la plus grosse honte de la famille royale depuis des dizaines de générations, je n'accepte pas qu'elle nous humilie devant la famille royale de la Barossellie.

C'en était trop pour Olympe. Cette remarque, pourtant douce comparée aux habituelles remontrances du roi, dépassait les bornes. La princesse était dégoutée par les préparatifs de son mariage forcé, exaspérée par son futur mari qu'elle n'avait encore jamais rencontré, fatiguée par les menaces de son père qui ne cessaient jamais. Olympe en avait assez !

- Vous avez raison, mère, fit-elle d'une voix douce, je dois me détendre.

Elle adresse un sourire hypocrite mais mesuré au roi et se leva de sa chaise, soutenant son regard. Elle n'avait pas attendu sa permission. Elle ne l'avait même pas demandé d'ailleurs.

- Olympe, je pense qu'il est plus sage que tu te rassois, murmura sa mère.

Le roi se leva à son tour, faisant claquer son poing contre la grande table en bouleau. Il hurla le nom de sa fille qui contournait la table sans lui prêter aucune attention. Olympe avait appris à bloquer toutes les paroles désagréables dès l'âge de cinq ans, pour éviter de se plomber le moral à cause des remarques de son père. Elle remonta l'allée, faisant claquer ses escarpins blancs sur le carrelage blanc de la salle à manger blanche. Un léger sourire au coin des lèvres, elle ressentit de l'adrénaline, elle avait tenue tête au roi. Cela était rare. Très rare. Mais quand ça arrivait, Olympe étaitenveloppée d'une immense fierté. Et la reine aussi... 

Arcalya - tome 1Onde histórias criam vida. Descubra agora