Chapitre 8

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Le Kaiko laissa échapper un léger panache de fumée noire. Le petit ventilateur s'arrêta d'un seul coup, la lumière rouge s'éteignit et l'on se réveilla brusquement avec un violent mal de tête. Kazuki n'eut pas la force de se relever, contrairement à Daisuke qui s'empressa vers la machine après avoir arraché son électrode. Il saisit des deux mains la boite métallique et la secoua.

« Pas maintenant ! Redémarre, saloperie ! »

Il perdit son sang froid et la jeta violemment au sol. Elle se brisa en plusieurs morceaux dans un bruit de verre cassé et de métal qui se tortille après avoir rebondi sur le sol en tatami. « Qu'as-tu fait ? » demanda Kazuki du bout des lèvres, encore assommé. « Rien, je n'ai rien fait » se persuada-t-il, les doigts emmêlés dans ses cheveux, le regard fixé sur sa bêtise.

Il se dirigea vers l'unique fenêtre de la pièce et l'ouvrit. Un léger courant d'air frais le caressa tel la douce main d'une femme. Il regardait au loin et essayait d'apercevoir la tombe de sa grand-mère dont il n'avait jamais entendu parler, mais remarqua que la ville avait gagné les hauteurs et que la maison n'était plus isolée. Le petit chemin de terre qu'il connut dans les souvenirs de son grand-père avait été écrasé par du macadam frais. L'épaisse forêt qu'il imaginait encore avait profondément été tailladée pour y être remplacée par plusieurs bâtiments en béton qui rendaient la vue désagréable. Seuls quelques cèdres furent préservés et servaient de terrain de jeu à un jardin d'enfants. Il posa ses coudes sur le rebord de la fenêtre, se servit de la paume de ses mains comme repose-tête, puis y plongea d'un coup son visage. Il évacua la haine qu'il portait à la machine défectueuse en dégageant fortement l'air de ses poumons, et chercha ensuite son pendentif, bien calé dans son porte-feuille. Il le caressa du doigt. « Ma grand-mère veille sur moi depuis ma naissance. Si j'avais su, je ne l'aurais jamais jeté contre le mur. » Un très long soupir fit passer sa profonde déception. Il ferma la grinçante fenêtre puis ramassa les morceaux qui jonchaient le sol, sous les yeux de Kazuki, assis en tailleur.

« Je suis désolé grand-père. J'ai été con ».

Le vieillard restait silencieux. Son expression se limitait à un léger froncement de sourcils. Il arracha à son tour l'électrode de son front et la balança sous le nez de son petit-fils.

« C'était un objet d'une valeur inestimable. Ta connerie l'a anéanti.

- Pardonne-moi, je ne me contrôlais plus. C'était un coup de sang.

- N'oublie pas de trier les déchets avant de les jeter ».

La lenteur du déplacement de Kazuki alourdit la glaciale atmosphère. Daisuke baissa encore plus la tête, apeuré par l'impressionnante carrure. Il accéléra le rythme et repensa, d'un regard extérieur, à son geste incontrôlé, et s'imaginait un second lui qui l'empêchait de commettre l'acte. « Je devrais m'inscrire au Tai-chi pour contrôler mes humeurs », pensa-t-il très fort.

La télévision cracha les rires du présentateur du jeu de midi. Kazuki ne l'aimait pas. Son arrogance de jeune animateur plaisait aux jeunes filles, mais repoussait les personnes âgées vers des émissions plus traditionnelles. Il éleva le son pour mieux ingurgiter l'énervant flux audiovisuel. L'animateur semblait occuper la pièce par sa voix de gendre idéal, et saturait l'esprit du vieillard, qui lui lançait des regards froids. D'un violent geste du pouce, il pressa le bouton rouge de sa télécommande et envoya valser l'outil sur plusieurs mètres. Elle rebondit et atterrit à quelques centimètres de la cheminée.

« Tout va bien ? lui demanda Daisuke, qui l'avait rejoint sans qu'il ne le remarque.

- Maintenant, oui, répondit-il fermement, les bras croisés.

Souvenirs d'HiroshimaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant