Chapitre 13

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Un pétale de la rose posée sur la table de chevet tomba au sol. C'était le service qui avait eu l'idée de l'offrir dans un petit vase, peu après le départ de Daisuke.

Akiro vit tomber le pétale et le ramassa, après avoir déplacé son tabouret au pied du lit de Kazuki. Il le lui donna et écouta attentivement ce que son vieil ami avait à lui dire. Emus, ils se tenaient la main comme deux jeunes enfants. Kazuki sentait celle de son ami trembler d'un rythme irrégulier mais n'en tenait pas rigueur. Ils se regardaient dans leurs yeux pétillants.

« J'ai été très dur avec toi, commença Kazuki. Je t'ai forcé à adopter Harumi. Je m'en suis voulu toute ma vie.

- Voir grandir Harumi aura été la plus belle chose qui me soit arrivé, rassura Akiro, un brin nostalgique et triste. Grâce à elle, j'ai pu me reconstruire plus facilement après le bombardement atomique... et j'ai rencontré une merveilleuse femme.

- Comment s'appelle-t-elle ?

- Je n'ai pas vraiment envie d'en parler, excuse-moi, se rétracta-t-il. Elle n'a plus voulu de moi la veille de notre vingtième anniversaire de mariage. Ce jour-là, elle a brisé mon cœur d'homme sensible.

- Je te comprends. J'ai vécu la même chose avec Saya. Je n'ai jamais pu, ni même voulu m'en relever.

- Nous avions élevé Harumi tous les deux, elle était comme sa mère. Puis elle est partie. Tous les jours, je me rendais à mon travail la tête basse, je n'étais plus motivé, j'étais devenu dépressif, j'en avais même honte. Et puis, Harumi était devenue une adulte, elle volait de ses propres ailes.

- As-tu toujours occupé ce poste de fonctionnaire ?

- Oui, même si j'ai régulièrement changé de sections. Et toi, as-tu réussi à devenir instituteur ?

- J'ai réussi, sourit-il. J'ai enseigné pendant soixante ans à des jeunes enfants de moins de dix ans. J'ai vu défiler quelques générations. Il m'est parfois arrivé d'avoir le père, puis le fils. C'était amusant à suivre.

- Ah, c'est bien, se réjouit Akiro, qui serrait fort de ses deux mains la prothèse de Kazuki. Habites-tu encore cette belle maison que nous avions bâtis ?

- Bien sûr. Je ne pourrai jamais m'en séparer. Parfois, quand tout allait mal, je m'allongeais près d'une fenêtre, je regardais le ciel et les nuages défiler, et je repensais aux bons moments que nous avions passé ensemble. C'était ma manière de prendre du recul, de faire le bilan sur ma situation et de mieux entrevoir l'avenir. Et puis, il m'était inconcevable d'oublier ce que tu as fait pour moi. Je ne t'ai jamais oublié.

- Moi non plus, je ne t'ai jamais oublié. Après tout, nous sommes tous les deux des survivants du bombardement d'Hiroshima. Nous sommes liés pour l'éternité.

- C'est vrai, reconnut Kazuki. Et n'oublions pas Saya.

- Oui, ne l'oublions pas.

- A ce propos, as-tu accès à l'allocation dédiée aux Hibakusha ?

- Je n'ai jamais souffert de maladies causées par les radiations, à part ces plaques rouges sur mon crâne, s'étonna-t-il à moitié, alors l'Etat ne me les a jamais accordées.

- Moi non plus, rigola Kazuki. Il faut se rendre à l'évidence. Nous sommes certainement les seuls à ne pas avoir été atteint par les retombées radioactives.

- Est-ce la providence ? »

Daisuke fit soudainement irruption dans la chambre. Il ignora les deux vieillards et se pencha sur les derniers graphiques produits par Miwa ces dernières heures. Toujours impatient de la voir se réveiller, il se voulait bienveillant, comme le cousin qu'il aurait aimé être s'il avait su son existence plus tôt. Son grand-père l'interpella.

Souvenirs d'HiroshimaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant