Chapitre 12

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« Ma pensée est claire et je ne la regrette pas. »

La présence de Kazuki me réconforte. Je l'enlace tendrement face à ce joli paysage qui nous présente sur un unique tableau l'horreur de la guerre et la beauté d'un monde innocent. Dans la magnifique baie d'Hiroshima, brillamment illuminée par un soleil rouge vif, flottent deux immenses bateaux de guerre japonais. Nous les observons depuis les escaliers qui précèdent l'entrée de sa petite maison. Je le sens rêveur. J'appréhende sa réaction lorsque je lui annoncerai que je suis enceinte.

Il nous aura fallu moins de deux mois pour réaliser ce qui prend parfois quelques années pour un couple. Il faut dire que j'ai souvent pris l'initiative lorsque nous étions dans des moments d'intimité. La chaleur qui nous étouffe n'est pas mon alliée. Je peux sentir mes hormones s'affoler et me donner d'incroyables pulsions. Mais je pense que cela lui plaît. Et moi aussi. Avec l'incertitude de mon avenir, c'est une bonne chose. Je donnerai naissance dans quelques mois et j'en serai soulagée. Cette nouvelle vie de famille comblera celle que j'ai perdue, et qui me manque cruellement. J'aborderai la suite plus sereinement.

Savoir qu'il a eu le « coup de foudre » pour moi me rassure. Mon instinct ne m'a pas fait défaut dans le bureau du patron, lorsque nous nous sommes rencontré pour la première fois. Je l'ai senti raide dingue. Ses yeux ne se détachaient pas de moi.

Les yens qui m'avaient été fournis la veille m'ont bien aidé. Une ravissante jupe noire, des petits talons, une nouvelle coupe de cheveux et du maquillage à volonté, je n'avais pas lésiné pour pouvoir séduire n'importe quel homme qui se serait présenté à moi.

Ce n'était pas, à première vue, mon type de garçon. Mais l'intérêt qu'il portait pour moi m'a ému. Il était adorable et a su me toucher là où il fallait. Lors de nos discussions, je le sentais parfois friable. Je n'y connais pas grand-chose en garçon, mais j'aurais réagi de la même manière face à un être qui me plaît. Je ne voulais pas tomber amoureuse de lui par défaut, ou par désespoir de ne trouver personne d'autres. Alors j'ai appris à l'aimer avec ce qui me plaisait chez lui, puis j'en suis devenue folle. Certaines nuits, dans ma chambre de bonne, je voyais son visage se dessiner sur les murs. Je ne pouvais plus m'en détacher. J'étais tombée sur le bon. Puis j'ai craqué. Lors d'une fin de journée, j'ai pris l'initiative. Je me sentais tout d'un coup comme Juliette qui avouait son amour à son Roméo. Nous pouvions enfin nous lâcher et cesser les sous-entendus que nous nous faisions souvent. Ressentir pour la première fois l'amour d'un homme me mit hors de moi. Ce fut une sensation incroyable. En fait, je pensais ne jamais connaître ce merveilleux sentiment. Je me l'interdisais, comme si je ne le méritais pas. A ce moment, j'en oubliais ce maudit carnet et cet affreux manipulateur. Kazuki avait su me redonner goût à la vie.

Malheureusement, la guerre prend actuellement un tournant critique. Grâce à mon nouvel emploi, j'ai pu comprendre ce qui s'était passé depuis mon retour au Japon. Je suis dorénavant informée sur le déroulement du conflit, et les dernières nouvelles ne sont pas bonnes. Elles sont même très mauvaises. Les Américains devraient débarquer d'ici peu sur l'île de Kyushu. Je ne peux m'empêcher de penser à ma ferme. Située à quelques kilomètres de Miyazaki, elle devrait bientôt être occupée lorsqu'ils auront conquis la ville. Cela me perturbe. J'en fais part à Kazuki qui tente de me rassurer, mais son discours n'a pas d'effets, car je connais quelqu'un qui prend un malin plaisir à jouer avec moi. Il ne me fera pas de cadeaux. Je sais pertinemment que le Japon va perdre, quoiqu'il arrive, et que le futur sera terrible. La situation est trop mal engagée pour espérer un retournement de situation.

Pour l'instant, je dois me concentrer sur mon annonce. Allez, je dois lui dire. Courage, ma grande. Après tout, c'est une excellente nouvelle. Il ne peut qu'en être ravi. Je vais d'abord l'enlacer encore plus fort pour tâter le terrain. Voilà. Il réagit bien, c'est bon signe. Prends une grande inspiration et dis-lui. Allez. Lance-toi.

Souvenirs d'HiroshimaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant