Souvenirs d'Hiroshima

Chapitre 16

Le doute était encore présent quant à la véracité du manuscrit déterré, mais après réflexion, Daisuke s'était finalement convaincu qu'il s'agissait bien de celui appartenant autrefois à sa grand-mère. Les précisions de son grand-père, et la découverte de ce carnet vierge qui suivit à l'emplacement indiqué, ne pouvaient pas être dues au simple hasard.

Sa mission lui semblait accomplie, même s'il n'expliquait toujours pas la disparition des écrits de manière rationnelle. Mais qu'importe, l'Akuma lui semblait hors d'état de nuire, et jamais il ne pourrait refaire souffrir des hommes et des femmes, comme il l'avait si bien fait avec Saya et son entourage.

L'idée de cette victoire avait soulagé le professeur. Il avait évacué la tension et le stress accumulés pendant le mois de janvier. Il replongea rapidement dans son rôle d'enseignant à l'université peu après son retour. Il n'informa ni ses collègues, ni ses étudiants des raisons de ses absences répétées. Sa vie privée devait rester privée. Il n'avait aucun compte à rendre et puis, personne n'oserait croire à son incroyable aventure familiale. Il avait simplement été pris, contre son gré, dans une spirale de coïncidences. Avaient-elles été provoquées par l'Akuma ? Il en doutait fortement. La fin de l'histoire avait entraîné la mort du démon, et celui-ci était bien trop malin pour mourir aussi bêtement. Daisuke s'étonnait d'ailleurs de ne pas avoir eu affaire avec lui. Il avait pu s'exécuter comme il l'entendait, sans rencontrer de résistance. L'Akuma existait-il vraiment ? Il le pensait mais n'avait aucune preuve.

Il ne recevait plus de nouvelles de sa cousine. Sa rencontre avec elle dans le sanctuaire shinto de Kōbe avait profondément changé sa vie mais tenait simplement d'un concours de circonstances. Le hasard avait cependant bien fait les choses, se disait-il souvent. Selon ses dernières informations, ses études en Europe se passaient bien. L'état de santé de la jeune femme n'avait jamais été aussi bon, pour son plus grand bonheur, et il gardait précieusement un portrait d'elle dans son portefeuille. Il imaginait la revoir rapidement à son retour au Japon, lors d'un des dîners organisé par Akiro et Kazuki.

Les deux vieillards ne se quittèrent que très rarement depuis leurs retrouvailles. Ils voulaient rattraper le temps perdu, sans doute. Leur amitié n'avait jamais été aussi forte et intense. Ils s'étaient promis de finir leur vie ensemble, près l'un de l'autre. Personne ne pouvait comprendre leur vécu et le lien qui les unissait depuis le bombardement atomique.

***

Hiroshima s'était débarrassée du temps maussade de l'hiver pour s'habiller à nouveau de sa plus belle flore au printemps, et proposer à ses habitants ses plus belles couleurs pendant l'été. Le soleil chauffait comme à son habitude les quartiers pendant la journée et offrait ses plus somptueux couchers vers vingt-deux heures. Akiro et Kazuki avaient rendez-vous là où ils s'étaient retrouvés le 6 août 1945 au petit matin. Evidemment, le quartier ne ressemblait en rien à celui qu'ils avaient connus il y a soixante-huit ans. La bombe atomique tombée du ciel avait pris le soin d'effacer toute trace de l'ancienne maison de Kazuki et de son voisin vieillard. Face à son ancien terrain, l'ancien professeur se plaisait à se remémorer ses parties de dominos avec celui qu'il considère depuis longtemps comme sa source d'inspiration. Avec le temps, des nouvelles générations naquirent et Kazuki dut difficilement accepter son statut d'homme sage, respecté et écouté par les plus jeunes, comme son voisin le faisait avec lui lorsqu'il avait encore la capacité de courir et sauter.

Les deux amis observaient depuis un banc les dernières lumières naturelles se refléter dans l'océan.

« Je n'étais jamais revenu ici depuis le bombardement, dit Kazuki. Le soleil a toujours le même rituel. Il se couche précisément au même endroit et à la même heure à cette période de l'année. Il semble tranquille et immortel contrairement à nous. »