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CHAPITRE 7.

L'arrivée d'Oria de la veille à déjà fait le tour de l'université. Les nouvelles vont vite ici... C'est l'inconvénient d'arriver avec le capitaine de l'équipe la plus réputée de cet établissement. Elle ne comprend pas pourquoi les gens sont aussi excités par la venue d'un nouvel élève et pourquoi ils s'agglutinent autour de lui. Heureusement que Matt était avec elle et qu'il a envoyé balader tout le monde en voyant à quel point elle était mal à l'aise.

Elle est maintenant au calme, dans sa salle de classe. Flavie n'est pas encore arrivée et Matt est ressorti avec ses amis. Certains fument et il est parti discuter avec eux.

Plongée dans son bouquin, elle entend des bruits de pas derrière elle. Sa tranquillité prend fin, avec ce groupe de filles trop bavardes aux voix de crécelles et aux talons qu'Oria juge beaucoup trop haut, rien qu'au claquement qu'ils produisent sur le sol. Elle reste concentrée sur son livre. Elles passent devant la jeune femme et cette dernière lève brièvement les yeux, curieuse de voir de qui il s'agit. Si sa mémoire est bonne, c'est le groupe insupportable qu'elle a vu au match.

Peu importe, son bouquin est bien plus intéressant. C'est un moment clé de l'histoire et elle prie intérieurement pour que le prof ne vienne pas commencer son cours avant qu'elle ait pu finir le chapitre. Mais son roman lui est arraché des mains puis jeté sur l'autre coin de la rangée de l'amphi.

– Tu m'ignores ?

Avec colère, Oria regarde l'espèce de pot de peinture face à elle. La couche de fond de teint qu'elle a appliqué sur son visage est aussi voyante qu'un bouton sur le nez. Non mais, pour qui elle se prend, celle-là ? !

La jeune femme déteste se faire remarquer, mais quand elle est en colère, elle a tendance à être sans filtre, violente dans ses mots et regrette quand elle se rends compte que l'attention est dirigée sur elle.

– T'es qui, déjà ?

Elle rigole noir, un air offusqué placardé sur le visage. Oria ne lui laisse pas l'occasion de répondre, elle se fiche complètement d'elle, et puis Matt lui a déjà donné son prénom.

– Tu te prends pour qui pour toucher à mes affaires, comme ça ?

– Baisse d'un ton avec moi. Tu ne sais pas à qui tu as en face de moi.

– Et j'en ai vraiment rien à foutre, la coupe Oria, dans son discours de princesse.

– C'est moi qui fais les règles, ici, dit-elle en ignorant tout à fait ses paroles. Alors laisse-moi te donner un petit conseil. Tu es nouvelle donc je vais être indulgente. Je ne sais pas de quelle campagne tu sors, mais Matthew est à moi. Tu ne l'approches pas, c'est clair ?

Madame nous fait une petite crise de jalousie. Pathétique. Si elle savait... La jeune femme la regarde de travers. Elle est tellement haut perchée sur ses talons qu'elle se croit au-dessus de tout le monde. Ses deux amies ricanent comme des hyènes, pensant que le manque de réaction d'Oria est lié à une quelconque crainte d'elles, à de l'intimidation. De pire en pire.

Alors qu'elle allait rétorquer, un garçon traverse la salle à grands pas et dévale les escaliers de l'amphithéâtre, l'attrape par le poignet en la sermonnant et la tire violemment hors de la pièce. Une fraction de seconde durant, elle a revu ce regard brillant et hypnotisant, et surtout ce grain de beauté.

Je n'avais donc pas rêvé ? Elle se retourne, mais la seule chose qu'elle voit, ce sont les longs cheveux parfaitement lissés de Karla qui volent au coin de la porte, ses deux amies les suivant de près. Oria doit savoir qui est ce garçon. Elle veut être sûre qu'il s'agit de quelque chose de réel, que ce ne sont pas des hallucinations. D'un bond, la jeune femme quitte sa chaise et sort de la salle mais ne trouve pas Karla parmi la multitude d'élèves. Merde...

Elle avance un peu dans le couloir, mais impossible de les retrouver. Elle a déjà entendu cette voix, elle en est sûre. Mais où ?

Dépitée, l'étudiante retourne s'asseoir et vérifie que son livre est toujours en bon état. Heureusement pour elle, il n'a rien. Elle le range dans son sac, la lecture ne l'intéresse plus dans l'immédiat. Son esprit est ailleurs, il est resté dans les iris de l'inconnu.

Elle n'a connu qu'une seule personne avec un tel grain de beauté. C'était à la fin de la primaire. Un nouvel élève est arrivé. Il était si beau garçon que toutes les filles de l'école voulaient être amie avec lui. Elles gloussaient dès qu'il s'approchait mais n'osaient jamais lui adresser la parole. Quant au reste des garçons, ils le jalousaient donc ne jouaient pas avec lui. Autrement dit, il passait ses journées seul.

À cette époque-là, Oria était encore une personne qui allait vers les autres sans la moindre difficulté. Elle a donc décidé d'aller le voir avec un grand sourire et de lui proposer de jouer avec ses amis et elle. Pour la première fois de sa vie, elle s'est fait rejeter. Il lui a crié de partir. Je n'ai jamais compris sa réaction. Suite à ça, toutes les filles se sont mises à l'embêter, voler son goûter, lui tirer les cheveux, lui lancer des boulettes de papiers... Juste parce qu'elle avait eu la gentillesse d'aller lui parler et de lui proposer son amitié alors qu'elles ne bougeaient pas le petit doigt.

C'est rapidement devenu du harcèlement. Les parents d'Oria, Hannah et Luc, pensaient que ça allait s'arrêter avec le passage au collège. Les profs disaient qu'il y aurait une prise de maturité, qu'avec les deux mois de vacances, chacun passerait à autre chose. Mais ça a empiré.

Quand elle ne faisait pas semblant d'avoir mal au ventre pour ne pas y aller, la pauvre se rendait à l'école le ventre noué par la peur. Elle a pu se faire une amie malgré tout, Elenah. Elle la défendait la plupart du temps, dès qu'elle le pouvait. Quand son père est décédé, forcément, elle n'était pas la plus souriante. Oria pleurait très souvent, faisait des crises d'angoisse. Les choses s'aggravaient.

Elle était la folle dépressive et faible. Tout ça a commencé à cause d'un garçon qui, pour des raisons inconnues, a rejeté son amitié. Au fil du temps, il avait rejoint ceux qui se moquaient d'elle. Alors, elle s'est mise à le haïr. Tout était de sa faute. Il a déménagé juste avant d'entamer la troisième année de collège. Comme par magie, elle a eu la paix. La collégienne était toujours l'objet de murmures et de regards noirs, mais ça s'arrêtait là. Il s'appelait Ethan, lui semble-t-il. Sombre époque...

Depuis, elle ne va plus vers les autres, préférant rester seule. Sa confiance en elle frôle les températures du pôle Nord, c'est-à-dire dans le négatif et le regard des autres est beaucoup plus important pour elle que ça ne le devrait. Le harcèlement laisse des traces, des séquelles, parfois même des plaies incurables.

– Oria !

La voix de Flavie la tire brutalement de ses pensées. Elles se sourient. Aujourd'hui, elle est accompagnée de deux autres filles.

– Je te présente Rachel et Emily. Je t'en ai parlé hier, tu te souviens ?

Oria hoche la tête en esquissant un faible sourire. Les deux filles s'installent derrière elles. À peine assise, Emily lance un sujet de discussion auquel la jeune femme ne comprend rien, si ce n'est que, visiblement, elle adore les potins, au moins autant que sa colocataire de table. Rachel ne prend pas part à la discussion. Elle semble bien plus posée que les deux autres, plus rationnelle.

Oria discute avec cette dernière et elle lui propose de scanner ses cours pour qu'elle puisse rattraper son retard. L'étudiante accepte et la remercie, la gratifiant d'un léger sourire. Elle aurait pu se débrouiller avec internet, mais elle pense que l'offre amicale de Rachel est la meilleure des solutions.

Elle se retourne quand le prof arrive et commence son monologue bourré de dates à retenir. Je sens que la matinée va être longue. Il devrait y avoir une loi qui interdirait les cours d'histoire dès la première heure.

ColorlessOù les histoires vivent. Découvrez maintenant