Prologue

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Juin 1978

Arthur s'étira les doigts, profitant d'une digression de son professeur d'économie. Il n'en revenait pas d'avoir réussi à noircir en si peu de temps autant de pages. Autant de pages à assimiler pour les partiels qui auraient lieu dans quinze jours.

L'aiguille des minutes de sa montre atteignit le douze en chiffres romains. Le professeur conclut et commença à rassembler ses notes de cours avant de partir. Dernier cours de la journée. Dans une heure, il pourrait boire un verre avec sa fiancée Aline, qui devait tout juste finir son cours de droit public. Son voisin de gauche lui souffla :

« Eh, Arthur, tu es sûr que tu ne veux pas venir ce soir voir Chirac ?

– Non, Rémi, je ne compte vraiment pas m'engager en politique.

– Allez...On ne te demande pas d'adhérer au RPR...Juste, le type est plutôt cohérent, et puis c'est toujours l'occasion de réseauter...

– Vraiment pas.

– Tu es royaliste ? s'étonna Solène, la fiancée de Rémi, qui venait juste de le rejoindre.

– Quoi ? Non ! »

Le jeune homme soupira. Il en avait assez de devoir se justifier à chaque fois de son apolitisme. Non pas qu'il n'en avait rien à faire de l'avenir de la France, mais l'Ordre interdisait formellement à ses membres de se positionner sur l'échiquier politique des Etats. Tout juste avaient-ils le droit de voter, depuis une dizaine d'années.

Le problème, c'est qu'être apolitique à Sciences Po Paris, c'est un peu comme être lettreux en Mathématiques Supérieures, ou détester l'histoire à l'école des Chartes. Les autres ne voyaient pas trop l'intérêt. Cela n'avait pas trop de sens. Pourtant, Arthur ne voyait pas non plus l'intérêt d'avoir une carte d'adhérent à un parti quelconque pour devenir avocat, ou magistrat, en fonction du concours qu'il réussirait. Mais à chaque fois qu'il refusait poliment de se déplacer à un meeting quelque part dans une salle à Paris, il attirait l'attention et toutes sortes de questions indiscrètes. Il appliqua la méthode d'exfiltration habituelle. Un coup d'œil à sa montre, une mine embêtée :

« Je suis vraiment désolée, j'ai un rendez-vous avec Aline bientôt, elle m'en voudrait si je lui posais un lapin.

– Ah, oui bien sûr, ne la fais pas attendre ! » répondit Rémi, en lui lançant un sourire pseudo-complice.

Arthur sortit de l'amphithéatre, et se dirigea vers une salle de TD de droit public des premières années. Encore un malentendu avec ses camarades. Vu la fréquence avec laquelle il côtoyait sa fiancée, la majorité de leurs camarades de promo s'imaginaient qu'ils devaient avoir une vie sexuelle bien remplie. Mais la fréquence de leurs rendez-vous  s'expliquait surtout par le fait qu'en plus d'être la femme de sa vie, Aline était la seule personne Douée qu'il connaissait dans l'établissement. Il se demandait si elle essuyait les mêmes problèmes que lui. Sans doute non. Elle appliquait la technique inverse de celle de son fiancé. Si lui pratiquait une stricte abstinence de rassemblements politiques, elle se rendait à des meetings divers et variés, sans trop se soucier de la couleur politique. Elle pouvait très bien se rendre le mardi à un rassemblement de maoïstes, puis assister à une réunion de légitimistes le lendemain pour ensuite écouter la conférence d'un membre du nouveau parti écologiste le surlendemain. Impossible en effet de lui attribuer une tendance politique. Mais Aline avait moins de visibilité sur la scène médiatique Douée.

En descendant l'escalier, il alluma une cigarette, comme récompense pour sa journée bien remplie, et manqua de renverser un homme qui montait l'escalier. L'homme poussa un juron dans la langue de Dante :

De mes cendres je renais -- Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant