Des joies d'avoir une soeur

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15 octobre 1978

« Agnès ! Dépêche-toi, s'il te plaît ! Si on rate le train, ce sera de ta faute, et je me ferai une joie de le faire savoir à maman, m'impatientai-je.

– Va te faire cuire un œuf. »

Heureusement pour elle, elle était trop loin derrière moi pour être à portée d'une bonne mandale. De toute façon, maman n'appréciait pas que nous fassions usage de la violence entre sœurs. Agnès, à chaque fois que nous devions traverser la Presqu'Île pour nous rendre à la gare de Lyon Perrache, prenait un malin plaisir à traîner quinze mètres derrière moi, ce qui me forçait à me retourner fréquemment pour vérifier qu'elle me suivait toujours, ce qui me ralentissait. Grâce à Dieu, maman s'était remariée avec Pierre, un homme phobique des retards qui nous faisait quitter l'appartement de manière à nous faire arriver quinze minutes avant l'annonce de la voie du train pour Chambéry même si nous décidions de faire le trajet à cloche-pieds.

Sans surprise, le quai n'était pas annoncé à la gare, et je n'avais plus qu'à attendre que la meilleure amie d'Agnès, Zita, vienne me libérer de mon fardeau de sœur. Maman ne savait absolument pas que je ne surveillais plus Agnès dès notre arrivée en gare, et que je faisais confiance à son ange gardien et à son amie pour qu'elle arrive avec sa valise à son dortoir à Sainte-Cath. Si maman l'avait su, j'aurais passé un sale quart d'heure. Elle avait un peu tendance à nous surprotéger.

Trois grandes têtes blondes émergèrent de la foule des passagers pressés. Les d'Artigny venaient d'arriver à Perrache par le bus qui faisait la navette entre Ecully et la gare. Malheureusement pour moi, Zita, qui la prenait aussi, ne pointait toujours pas le bout de son nez, et Agnès ne s'entendait pas particulièrement avec la petite sœur de Philippe, Catherine, qui était pourtant dans sa classe. Je ne savais pas pourquoi. Cela prenait souvent à ma sœur. Elle se mettait à détester des gens, comme ça. Peut-être qu'il y avait des motifs rationnels à cette détestation, mais je communiquais bien trop peu avec ma sœur pour réussir à les comprendre.

« Il y a ton amoureux, annonça-t-elle.

– Je n'ai pas d'amoureux...soupirai-je.

– Tu n'es pas amoureuse de Philippe ? Comme vous êtes à côté en classe et que vous passez du temps ensemble dans les salles de musique...Enfin, c'est ce qu'Ingonde Pellent m'a dit...

– Pire que sa sœur, celle-là, pestai-je. Si nous sommes à côté à chaque début d'année, c'est parce que nous sommes l'un après l'autre dans la liste alphabétique...Si je devais choisir, je me serais mise à côté d'Emilie. Ou de Solange, puisque je ne suis plus dans la même classe qu'Emilie. »

En réalité, demi-vérité. Rester à côté de Philippe me plaisait bien. Je l'aidais pour l'histoire et le français, il m'aidait pour l'anglais et la musique. Mais pour les maths, nous étions tributaires du bon-vouloir d'Emilie.

« Et puis pour les salles de musique, nous partageons le même casier depuis la sixième, nous avons le même emploi du temps, donc c'est normal que l'on s'y retrouve en même temps. »

Oui, mais j'aurais pu travailler dans une salle libre à côté, au lieu de discuter avec lui. Mais après tout, ce n'était pas une heure de véritable pratique en solitaire du violoncelle qui allait révolutionner ma manière de jouer.

« Alors pourquoi Philippe vient vers nous alors que tu n'es pas amoureuse de lui ?

– C'est un cousin par alliance ! Et puis tu connais, l'amitié ? Bonjour Philippe !

– Bonjour Alexandra, bonjour Agnès. Avez-vous passé un bon week-end ?

– Oui, très bon, et toi ? »

De mes cendres je renais -- Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant