Code d'honneur

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30 janvier 1979

« Tu ne parles pas à Philippe depuis ce moment-là ? s'étonna Nanthilde

– Vu ce qu'il lui a fait, ce n'est pas étonnant, répliqua Emilie.

– Je m'adressais à Alexandra. »

Je levai les yeux au ciel. Nous étions assises sur notre banc habituel au fond du parc, près du Domaine, un vaste espace plus haut dans la montagne uniquement accessible aux lycéens. Depuis la scène du plateau, on ne me demandait plus si j'étais en couple avec Philippe, mais s'il s'était excusé, ou encore des détails sur l'histoire "parce que j'étais au fond et je n'ai pas tout bien vu". Les gens n'avaient aucune décence. Si j'avais eu envie d'en parler j'aurais écrit un article dans la feuille de chou du lycée, qui chose surprenante, était tenue par Luc Mercier-Lallemant, le fils de la journaliste.

« Non, je ne lui ai pas parlé. Et je me porte extrêmement bien. »

Pas tout à fait en réalité. J'avais perdu la lettre de Philippe sans l'avoir ouverte, et maman m'avait grondée pour ça. Ensuite, je n'avais jamais passé autant de temps sans parler au cousin de Solange, et sans aller jusqu'à dire qu'il me manquait, la sensation était assez étrange. Et puis j'allais moins travailler mon violoncelle, et Mme d'Ocagne commençait à s'en rendre compte.

« Il ne s'est pas excusé ? voulut savoir Emilie

– Si...Enfin...c'est compliqué. On est obligées de parler de ça ? Ou même de moi ? Oh, si, j'ai complètement oublié de vous parler du moment où j'ai cloué le bec à Thérèse de Pollien ! Cela fait tellement longtemps, mais c'était très jouissif !

– Oui, parlons-en, grinça Nanthilde.

– Tu es au courant ? m'étonnai-je

– Elle a voulu mobiliser la communauté des Visuels autour de sa cause. Mais comme c'est la seule maisonneuviste du groupe...personne ne l'a suivie...même son frère jumeau la trouve un peu trop impliquée là-dedans, c'est dire...»

Je racontai dans les grandes lignes mon esclandre. Comme je l'avais prévu, cela fit bien rire Emilie. Elle aussi vouait une aversion tenace à Thérèse, parce que celle-ci avait déclaré que la course à pied n'était pas un sport très intellectuel. Seule Nanthilde gardait un visage fermé.

« Emilie, ne me dis pas que tu n'as pas compris dans quelle panade Alex venait de se mettre ?

– Non ?

– Tu devrais lire plus et faire moins de course...Thérèse t'a laissé du temps pour retirer ton insulte, n'est-ce pas Alexandra ?

– Ah, oui, cinq secondes, je crois.

– Elle aurait pu laisser plus de temps, mais elle respecte la procédure. Eh bien je te souhaite de bien profiter de ton temps de non-déclenchée, Alex.

– Pourquoi ?

– Enfin, on ne vous a jamais parlé des duels, les filles ?

– Si ! Le truc ! s'exclama Emilie. Mais tu veux qu'elle l'affronte comment ?

– Des duels ? » répétai-je.

Je n'avais pas vu cette notion dans les livres d'histoire Douée prêtés par mon grand-père. Je songeai à une de mes lectures de cinquième, les Trois Mousquetaires. Allais-je devoir me battre à l'épée jusqu'à la mort contre Thérèse ? L'idée d'avoir ses deux prunelles noir d'encre comme dernière vision avant mon trépas me fit des frissons dans le dos.

« Les Duels concernent des Doués déclenchés. Bon, il y a moyen d'inclure des non-Déclenchés, mais c'est très codifié. Officiellement, ils ont été abolis par ton grand-père, mais c'est assez peu appliqué. De toute façon, Thérèse est maisonneuviste, donc ce que fait ton grand-père, elle est contre par principe. Il n'y a pas un seul type d'affrontement. Mais ils varient en fonction des Dons des combattants. Pour les Visuels, c'est combat à mains nues les yeux bandés, dans le noir. Le vainqueur est celui qui plaque le dos de l'adversaire plus de trois secondes.

De mes cendres je renais -- Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant