Révélations

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« Je vous prie de bien vouloir nous excuser, Bon-Papa. Nous ne pensions vraiment pas à mal, et je m'engage à ranger les livres que j'ai fait tomber. » débitai-je à toute vitesse une fois dans le bureau de mon grand-père.

Il se contenta de fixer le vide entre Solange et moi. C'était la première fois que je pénétrais aussi longtemps dans son bureau, entièrement meublé de mobilier en style Louis XVI, des chaises aux pieds cannelés à la commode en bois laqué sur laquelle trônaient quelques portraits de famille en noir et blanc. Sur les murs, des tableaux de l'époque classique, représentant le château sous différents angles, à l'époque où les écuries étaient encore debout.

Au-dessus du large bureau en marqueterie s'empilaient des piles bien droites de dossiers et de chemises marquées d'un signe que je commençais à connaître. Le phénix doré, encore lui. Bon-Papa s'empara du téléphone, et adressa quelques mots à la personne à l'autre bout du fil, lui disant de venir.

« Que cherchiez vous derrière ce panneau ? voulut-il savoir après avoir raccroché.

– Des indices. Nous cherchions des secrets que ce château pouvait cacher...» lança Solange.

Elle ne se dévoilait qu'avec prudence, habituée à la dissimulation de ses bêtises devant ses parents et la direction pour ne pas se faire gronder. Mais je voulais avoir toutes les chances que l'on me révèle ce secret qui me pesait si lourd sur le cœur :

« Nous pensions que ce panneau dissimulait la réponse à nos questions. Pourquoi sommes-nous encore considérées comme des petites alors que les jumeaux ont pu déjeuner avec les grands dès la fin de leur année de sixième ? Pourquoi est-ce qu'on refuse de me dire la vérité sur mon père ? Pourquoi est-ce qu'à Sainte Catherine les gens changent de classe tous les quatre matins ? Je ne sais pas si ces questions ont une réponse commune, mais je le pensais, et c'est une idée de ma seule initiative, je n'ai entraîné Solange dans cette sottise uniquement parce qu'elle n'avait pas le vertige, je pensais que je pourrais trouver une réponse !

– En fait, Bon-Papa, les torts sont les miens, sinon partagés, rectifia Solange.

– Non, c'était mon idée, si quelqu'un doit être puni, c'est moi !

– Ne fais pas l'idiote, Alex...

– Vous avez terminé de vous chamailler ? » coupa Bon-Papa.

Je baissai les yeux, gênée. Je venais sans doute d'aggraver la punition sur le point de nous tomber dessus.

« Quel âge avez-vous ?

– Nous avons treize ans, et nous allons sur nos quatorze, répondit Solange. Je suis née le quatorze juin, et Alexandra le trente mai.

– Vous avez grandi si vite...Quelles sont vos hypothèses sur le secret que vous cherchiez à percer ? »

Solange se tourna vers moi. Le mot hypothèse impliquait réflexion théorique, et Solange me laissait toujours cette tâche. Je me raclai la gorge, et osai d'une toute petite voix :

« Pas un complot criminel, j'espère ?

– Nous ne sommes pas des criminels, répondit mon grand père, en soulevant les coins de ses lèvres pour faire ce qui devait être une forme étrange de sourire.

– Qui est "nous" ?

– N'avez-vous rien remarqué ?

– A part la scène de tout à l'heure. Vous avez fait en sorte que Solange ne s'écrase pas à terre...

– N'avez-vous pas remarqué un jour votre cousin Arthur s'exprimer avec aisance dans des langues pour lesquelles il n'a jamais eu le temps de prendre des cours ? Ne vous êtes-vous jamais demandées pourquoi votre cousine Constance se déplaçait si vite dans le château ? Ou pourquoi une colère du votre cousin Jean amenait souvent un orage pas prévu par le bulletin météo ? Alexandra, n'avez-vous jamais compris comment votre mère pouvait déterminer le déjeuner que vous aviez pris le midi sans jamais avoir lu le menu ? Solange, pourquoi la vôtre se souvient avec exactitude du temps qu'il faisait et de l'endroitoù elle se trouvait le six mars mille neuf cent soixante-et-un ? Ou le trente décembre mille neuf cent soixante-douze ? »

De mes cendres je renais -- Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant