Attaque frontale

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14 octobre 1978

« Oh, Arthur, tu es là ? fit mine de s'étonner Jean. C'est dommage, Alexandra voulait te parler...»

Pour une fois de retour en France après plusieurs longues semaines passées sur les bancs de l'université de Milan, l'aîné des Mont-Frémont se retint de critiquer le style vestimentaire de son cadet. Il sourit en reconnaissant le petit livre rouge que tenait Jean. Son frère affectionnait se présenter au château ou chez eux à Paris avec des lectures que leur mère aurait vouées aux flammes de l'enfer. Mais personne ne pouvait savoir si Jean validait ou non ce qu'il feignait de lire avec un grand intérêt.

« Ah bon ? Elle est là ?

– Non, pas ce week-end, elle a guides à Lyon.

– Que me voulait-elle ?

– Elle voulait te parler personnellement. A propos de la charge de Grand Maître, je crois.

– Ah. Tu pourrais mettre une ceinture. Je ne pense pas qu'il y ait quelque chose de bourgeois à ne pas laisser son slip apparent, non ? »

Il eut peur un instant que sa cousine ait été mise au courant des derniers contacts qu'il avait eus dans le milieu Doué. On lui avait dit la veille de son mariage qu'on lui avait appris l'existence du Don, et de son rôle à tenir dans les prochaines années. Il se rassura. Cela faisait à peine deux mois, elle ne devait même pas connaître en détail le fonctionnement de l'Ordre. Il avait du mal à savoir pourquoi elle avait cherché à lui parler. Dans la famille, il était admis que les enfants de Georges et d'André de Mont-Frémont n'avaient plus rien à voir avec la direction de l'Ordre, il n'avait rien à lui apporter concernant la charge de Grand-Maître. Il laissa Jean à ses lectures révolutionnaires, et toqua à la chambre de Paul, en pleine écriture d'une lettre.

« Bon-Papa est dans son bureau ?

– Ouaip. Il a un mauvais rhume, il a renoncé à aller à la chasse. Je pense aussi qu'il cherche à éviter Bonne-Maman.

– Ils se sont encore disputés ? Soupira Arthur.

– Une sombre histoire de lave-linge, dans laquelle Jean a fait un malheureux coup d'éclat. Il faudra voir avec lui pour ta participation financière, sinon, tu ne pourras pas laver tes vêtements. Mais bref, Papa trouve que Bonne-Maman a pris une décision irrationnelle, et Bon-Papa est d'une humeur massacrante parce qu'il doit se rendre à la laverie de Villard de Lans pour laver son linge, puisqu'il a refusé de cotiser pour l'achat du nouveau lave-linge

– Eh bien, c'est impressionant, répondit Arthur, en songeant à une autre décision qu'il trouvait irrationnelle. Tu écris à qui ?

– Hum...Cela ne te regarde pas ! » s'exclama son jeune frère en rougissant.

Arthur sourit. Paul était déjà en première, presque un homme avec son duvet sous le nez et ses épaules larges. L'âge où tous les élèves de Saint-Thomas déclaraient tous avoir une fiancée plus ou moins officielle.

« Elle s'appelle comment ?

– Qui te dit que j'écris à une fille ?

– Ne me prends pas pour un idiot. Je ne le dirai pas aux parents.

– Clélie de Charenton.

– Eh bien, c'est excellent ! Tu as réussi à trouver une aristocrate ! Bon-Papa va être content.»

Gilles de Mont-Frémont avait accordé sa bénédiction pour l'union entre Arthur et Aline du bout des lèvres, déçu de ne pas trouver la moindre gouttelette de sang bleu dans les veines de la jeune Oratrice. Il aurait secrètement aimé que le titre de vicomtesse de Mont-Frémont se transmette à une jeune noble...Mais les propositions d'Aline pour administrer les Trois-Buttes avaient fini par le séduire, et il avait cédé. Et de toute façon, la jeune femme avait déjà conquis le coeur de ses futurs beaux-parents, à la plus grande surprise de tous, qui ne comprenaient pas comment une jeune femme aussi moderne qu'Aline qui faisait ses études à l'extérieur ait réussi à se faire accepter par la très conservatrice Anne-Claire de Mont-Frémont.

De mes cendres je renais -- Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant