Le calme avant la tempête

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3 août 1979

Je fermai à clef la porte de la petite cellule qui me servait de chambre, et descendis un escalier en suivant les autres moniales jusqu'à la chapelle du couvent. Depuis mon arrivée, j'avais mis un point d'honneur à assister à tous les offices de la Liturgie des Heures, même les matines et aux laudes au beau milieu de la nuit. Je voulais savoir si je parvenais à tenir ce rythme, et le fait que je réussisse à me lever à minuit pour traverser le cloître refroidi par la fraîcheur de la nuit prouvait que je pouvais tenir la cadence de la vie d'une moniale chartreuse.

Je pris un bréviaire et m'agenouillai sur un des bancs du fond de la chapelle. Emilie vint s'asseoir peu de temps après à côté de moi. Depuis une semaine, le rythme répétitif des psaumes faisait partie de mon quotidien, et je tirais une certaine forme de béatitude de cette vie réglée, silencieuse et solitaire.

Il y a quelques années, je songeais sérieusement à rejoindre les ordres, pour vivre dans l'isolement et la tranquillité. Et puis par absence de vocation, et surtout parce que devenir moniale paraissait extrêmement ringard aux yeux des filles de mon entourage, je m'étais finalement davantage imaginée professeur de lettres classiques, comme voulait le devenir Constance. Mais la retraite dans le couvent de la tante d'Emilie revivifait en moi ce désir ancien.

Au fond de moi, je me sentais bien adaptée à la vie monastique. Pauvreté : mes parents n'étaient pas richissimes, et je n'étais pas d'une nature dépensière. La question de ne plus rien posséder ne me gênait pas, j'avais tellement l'habitude de partager mes paires de chaussettes et de collants avec les autres filles de mon dortoir que je savais que mon stock actuel de chaussettes n'avait jamais été acheté par maman. La preuve : les chaussettes que je portais étaient trop grandes pour moi et retombaient de manière peu élégante sur mes chevilles. Chasteté : ma relation avec Philippe n'était qu'une amitié forte, et si jamais un jour je ressentais une quelconque inclination pour une quelconque personne, je restais persuadée que quelques années de clostration suffiraient à faire disparaître cet éventuel sentiment amoureux. Enfin, obéissance : je n'étais pas quelqu'un d'indocile, et on m'avait souvent dit que j'accordais trop d'importance aux règles. Aux règles, les règles d'un règlement. J'étais bien sûr préoccupée par l'absence de mes autres règles, mais aucun monastère ne me refuserait pour être aménorrhée. Mais même si la vie à la chartreuse de Nonenque me plaisait, je sentais bien au fond de moi que ma place n'était pas ici.

Les moniales se levèrent à la fin des laudes, je m'apprêtai à rejoindre le calme de ma cellule, et surtout finir ma nuit après l'office, quand la sœur Blandine franchit la clôture pour me rattraper :

« Mademoiselle Arvor, une femme qui dit être votre marraine vous attend au parloir. »





La mère supérieure avait accepté que nous discutions à l'extérieur du couvent, assez loin pour ne pas déranger les religieuses dans leur réclusion silencieuse, et nous nous étions assises par terre sur une des berges de l'Annou, la rivière qui passait juste en bas de la chartreuse. La tante Elisabeth n'avait pas quitté son tailleur pantalon bleu ciel, ni son chignon soigné, mais avait adopté une mine soucieuse, loin de son flegme habituel.

« Votre retraite se termine demain ?

– Oui, ma tante. Je prendrai un train à Tournemire-Roquefort avec Emilie, pour rentrer à Lyon.

– Vous ne rentrerez pas à Lyon.

– Aux Trois-Buttes, alors ? Il faudra que je change de billet...

De mes cendres je renais -- Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant