11 septembre 1978
D'après Solange, qui avait échangé avec Auguste par lettres pendant les vacances, deux cabines téléphoniques avaient été installées devant l'établissement. Les années précédentes, si on voulait téléphoner à ses parents, il fallait se rendre au secrétariat, faire les yeux doux à Mme Chastang, et passer le coup de fil devant elle, qui prenait un plaisir fou à s'incruster dans la vie privée des élèves. Si on voulait communiquer des informations très personnelles, il fallait se tourner vers les lettres.
J'étais rentrée au collège avec Emilie et Agnès, et nous avions pris le train toutes seules. Le frère d'Emilie, Wilhelm, avait intégré cette année un cursus de mathématiques et de physique aux Pays-Bas. Je m'approchais la peur au ventre des listes de classe affichées devant le bâtiment des salles de classe de quatrième. J'avais déjà récupéré mes rubans oranges et en avais déjà attaché un autour de mon poignet à la place du violet de l'année précédente, et j'ignorais juste dans quelle classe j'avais été affectée. Sûrement la 4°6 :
« J'ai eu mes règles, me glissa mon amie quand Agnès fut partie rejoindre ses amies Zita et Thaïs.
– Ce n'est que maintenant que tu me le dis ? m'exclamai-je.
– Je n'y ai pas pensé dans le train...Mieux vaut tard que jamais... Et de toute façon, je les eues à la fin des vacances. Si les observations de Solange de l'année dernière sont bonnes, et que tu n'as pas eu tes règles, nous ne devrions pas être dans la même classe. »
Sa voix s'était mise à baisser d'une octave, presque muée en grognement. Le tic d'Emilie quand elle mentait. Mais je ne lui en voulus pas. Si elle avait été déclenchée, on avait dû lui dire de dissimuler la vérité même à ses plus proches amies. Et même si Emilie interprétait parfois à une manière qui lui était propre le règlement, on avait dû tellement insister sur ce point qu'elle n'avait pas dû juger préférable de soumettre cette règle à sa libre interprétation.
« Tu sais que je sais ?
– Que tu sais quoi ?
– Ce qui arrive après les règles...Disons que cet été, Solange et moi avons un peu...forcé la main à notre grand-père. Donc je sais. Mais je ne suis pas déclenchée.
– Ah. Chouette. Il faudra le dire à Nanthilde, alors. Je lui ai parlé cet été, et nous avions choisi d'attendre que tu sois toi-même déclenchée pour...
– Arrêter de me mentir ? Au moins, je suis contente que tu aies trouvé une activité en commun avec elle, cela me changera de vos controverses théologiques, la coupai-je d'un ton sec.
– Et si on allait regarder la composition des classes ? »
Elle s'élança vers les feuilles punaisées à un grand panneau en liège dressé devant les bâtiments des salles de classe de quatrième. Beaucoup d'élèves se massaient devant, et il fallait jouer des coudes pour parvenir à apercevoir son nom. Je reconnus Amélie et Ombeline, et plusieurs autres personnes de la classe de sixième cinq il y a deux ans :
« Emilie, on est dans la même classe ! s'exclama la plus brune des deux. Nous sommes en quatrième quatre !
– Oh nan...Avec Super-Sainte-Nitouche et sa pote la grenouille de bénitier ? soupira mon amie.
– Elles sont à dix mètres de nous. » soufflai-je en apercevant Blanche Castillon et Victorine Bombardier s'approchant des listes.
Comme Auguste, Emilie s'était mise à attribuer des surnoms pas forcément flatteurs à ses camarades de classe. Blanche et Victorine étaient deux catholiques extrêmement pieuses et pratiquantes, qui n'avaient pas lâché le rite tridentin pour la messe en langue vulgaire qu'elles critiquaient dès qu'elles en avaient l'occasion. Emilie étant elle aussi traditionaliste, elles auraient pu bien s'entendre et persifler ensemble contre la vague charismatique pseudo-protestante qui gangrénait à leurs yeux l'Eglise catholique depuis le concile Vatican II, mais depuis que "Super Sainte Nitouche", alias Blanche avait reproché à Emilie d'une voix condescendante le fait qu'elle porte des pantalons pour rentrer chez elle le vendredi soir, et sa volonté de vouloir à tout prix défier des garçons en course à pied, mon amie l'ignorait dès qu'elle voulait lui adresser la parole et prenait un malin plaisir à critiquer chacun de leurs faits et gestes, en particulier ceux qui concernaient l'aumônerie du collège.
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De mes cendres je renais -- Tome II
Paranormal!!! Ceci est un tome 2 !!! Tome 1 sur mon profil Combien de secrets sur votre identité votre famille vous cache-t-elle ? Deux cousins sur le point de se marier, une troisième rentrée des classes au collège Sainte Catherine...