15 novembre 1978
Je n'allais jamais aux salles de musique le mercredi après-midi. Avant, je préférais traîner sur un des fauteuils de la bibliothèque du collège, et lire un ouvrage choisi au hasard, ce qui me prenait rarement plus d'une après-midi. Depuis ma prise de bec avec le bibliothécaire, je n'osais plus trop m'y faire remarquer, et je m'étais mise à crocheter une courtepointe au club travaux d'aiguille du mardi soir. C'était quelque chose d'extrêmement répétitif. Il fallait réaliser plusieurs petits carrés identiques au crochet, et ensuite les coudre ensemble avec un point de fil blanc. Mais j'avais fini par me lasser de ce travail rébarbatif. A l'heure actuelle, ma courtepointe ne pourrait convenir qu'au lit d'une poupée Barbie. Super idée de cadeau pour Adélaïde, soit dit en passant.
J'étais donc allée aux salles de musique le mercredi, d'une part parce que j'étais désoeuvrée, d'autre part parce que Philippe faisait du basketball avec Auguste et Vincent et d'autres garçons de treize heures et demie à quinze heures, et s'entraînait à la course à pied de quinze heures trente à seize heures trente. Par conséquent, lui non plus ne se rendait pas aux salles de musique le mercredi après-midi. J'espérais défaire certaines des rumeurs en allant massacrer mon violoncelle sans lui. Cela faisait un mois que nous avions simulé notre rupture, et la moitié de la promotion de quatrièmes ne nous croyait pas, la deuxième était persuadée que des sentiments naissaient en moi suite à cette rupture. Ce qui était faux, mais cela m'obligeait à me tenir à distance du cousin de Solange. Encore. Et je dois bien admettre que mes heures de non-travail du violoncelle à refaire le monde avec Philippe me manquaient beaucoup.
Comme le disait Philippe, à force de pratique, j'allais peut-être réussir à sortir un son acceptable de cet instrument. J'avais donc décidé de prendre la résolution de progresser en violoncelle. Depuis hier. Et en entrant dans la salle Saint-Saëns, je compris aussi pourquoi je n'allais jamais habituellement aux salles de musique le mercredi après-midi. Tout le monde se rendait aux salles de musique à ces horaires-là. Si la personne qui occupait la pièce avait été d'un niveau inférieur, je lui aurais gentiment dit d'aller ailleurs, avec un grand sourire, en mettant en valeur le ruban orange des quatrièmes que je portais à mon poignet droit. Je l'avais déjà fait. Pour les autres, les quatrièmes et au-dessus, la majorité me reconnaissait et dégageait la place.
Sauf que la personne qui s'était assise face au piano droit était Thérèse de Pollien. L'effrayante Thérèse de Pollien. Personne, de la sixième à la terminale n'allait l'embêter. Je ne l'impressionnais même pas. Parce que les Pollien soutenaient les Maisonneuve. J'avais aussi appris que la jeune brune était une Visuelle, ce qui expliquait le malaise que chacun ressentait quand il croisait les deux billes d'un noir de charbon qui lui servaient d'yeux. Thérèse était un roc. Personne ne lui faisait peur. Solange affectait de la mépriser, souvent signe qu'elle avait été elle-même humiliée par la jeune de Pollien. Blanche Castillon la laissait tranquille quand elle mettait les pieds à la chapelle, et n'allait jamais la harceler pour lui demander de participer au ménage de l'église, comme elle faisait avec tous les autres. Même moi, d'ailleurs j'avais encore été inscrite malgré moi sur la liste des personnes en charge du nettoyage de la chapelle ce mois-ci. Même Constance, qui lui avait une fois demandé de participer à la chorale de la messe s'était fait remballer avec une réplique du type : "Les femmes n'avaient à l'origine pas le droit de chanter la messe. Sage règle de l'époque, vu à quel point la chorale interprète l'ordinaire et ces cantiques à l'eau de rose post-conciliaires. Dieu me préserve de participer à une telle ignominie". La seule personne qu'elle aurait pu respecter était Elise, bien sûr, mais ma cousine éloignée préférait lire et peindre seule, et ne parlait que si la personne en face en valait la peine.
En me voyant dans l'encadrement de la porte, Thérèse cessa la mélodie qu'elle jouait au piano, et me fixa de ses deux yeux noirs, la bouche pincée dans une grimace censée me faire comprendre que je la dérangeais :
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De mes cendres je renais -- Tome II
Paranormal!!! Ceci est un tome 2 !!! Tome 1 sur mon profil Combien de secrets sur votre identité votre famille vous cache-t-elle ? Deux cousins sur le point de se marier, une troisième rentrée des classes au collège Sainte Catherine...