Il t'arrive de culpabiliser sur ton incapacité à parler la langue maternelle de tes parents. Après plusieurs tentatives vaines et ton manque de motivation, tu as décidé d'abandonner. Tu t'es souvent demandée pourquoi tu n'y es jamais arrivée. Il y a pourtant beaucoup de facteurs qui pouvaient t'aider à maîtriser cette langue.
Comme le fait que ça fait des années que tu habites dans le pays d'origine de tes parents, et qui de ce fait, est aussi celui de tes origines. Le fait que tes parents maîtrisent cette langue et que tu es dans la possibilité de leur demander de te l'apprendre. Le fait que tu vas dans une école non-française dans laquelle tu passes du temps avec tes amis et camarades qui parlent cette langue tous les jours sous tes yeux.Malgré tout cela, tu n'arrives pas à éprouver la moindre volonté d'apprendre cette langue.
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Lorsque tu as quitté la France pour ce nouveau pays, tu étais énormément triste. En ce moment fatidique, tu n'y as vu que ce que tu avais à y perdu, et non ce que tu avais à y gagné. Visiter ce pays pendant les vacances est une chose, mais décider d'y vivre pour de bon est une autre affaire. Tu n'avais que onze ans à l'époque, vivre dans un pays étranger était un grand saut à faire en dehors de ta zone de confort. Emménager là-bas voulait dire abandonner tout ce que tu aimes, ta famille, tes amis, tout ce que tu connais et toutes ces choses propres à la culture française auxquelles tu étais habituée.
Tu te souviens du déménagement de la France jusqu'à ce nouveau pays d'habitation. C'était une période remplie de mélancolie, de stress et de solitude. Tu as dû faire le tri dans tous tes jouets, tes peluches, tes jeux, tes livres. Décider ceux que tu allais garder, ceux que tu allais donner à tes cousins, et ceux que tu allais vendre. Voir ta chambre d'enfant se vider de sa source de vie, la chambre dans laquelle tu as grandi toute ton enfance. De même pour ta maison dans son entièreté. Le salon, la chambre de tes parents, la salle à manger, le jardin. C'était la maison dans laquelle tu as grandi pendant les onze premières années de ta vie, tu l'avais vue changer, se rénover, évoluer, pour finalement se vider et la voir laissée à l'abandon. Cette maison était remplie de souvenirs, remplie de tout. Avoir à lui dire adieu t'était poignardant, car tu as toujours été le genre de personne à attribuer une valeur sentimentale aux biens matériaux et aux lieux.
Organiser le déménagement dans un autre pays pour une famille de cinq n'était pas chose facile, surtout pour tes parents. Le stress constant qui durait toutes les vacances d'été les mettait à bout, les poussait à dire des choses qu'ils ne voulaient pas prononcer, les rendait facilement furieux. C'est à cause de ça qu'ils ont crié au divorce. Ta mère disait qu'après avoir vendu la maison, ton père irait déménager seul tandis qu'elle resterait en France. Et les enfants dans tout ça ? Tu n'avais pas osé poser la question. Tu avais peur d'avoir à choisir entre tes parents. Avec qui rester s'ils divorçaient ? Sachant qu'il y aurait tout un continent qui les séparerait, choisir l'un reviendrait à renoncer à l'autre.
Pendant toute cette période, tu te sentais très seule. Tes parents ne se parlaient plus. Toi, ton frère et sœur mangiez souvent seuls. Avec presque plus aucun jouet avec quoi jouer, plus aucun livre à lire, le nombre de vos activités était très restreint. Il n'y avait que la télévision qui était en mesure de t'apporter une once de réconfort et d'amusement. Tu regardais la télévision par terre, sur le tapis. Tu as dû dire adieu au confort de ton énorme canapé et de ses gros coussins rouges, que tu avais souvent utilisé pour te bâtir un château-fort. Encore un tendre souvenir accroché au mobilier de la maison.
C'était le vide chez toi, dans ta maison, dans le couple de tes parents, dans ton âme.Accepter de laisser derrière toi les joies de ton enfance, de voir le chaos et la discorde s'installer au sein de ce foyer pourtant censé être chaleureux, pour un pays qui t'était si étranger était chose difficile. Alors l'idée d'apprendre la langue de ce nouveau pays ne t'avait pas vraiment enchantée. Tu ne savais pas exactement pour combien de temps tu allais rester vivre dans ce nouveau pays, peut-être deux ans, trois, quatre... Mais tu étais sûre et certaine de rentrer en terres natales au plus tard après le lycée. Vous êtes des expatriés, et non des immigrants. Cette idée t'es restée inconsciemment dans la tête depuis tes premiers jours dans ce nouveau pays. À quoi servirait de se donner autant de mal à apprendre une langue si compliquée s'il y a une chance que ta famille décide de rentrer en France le lendemain ?
Ta culture, ta mentalité, ton éducation, tes valeurs, tu les as tous reçus de la France. Même si tu vis depuis plusieurs années dans ton pays d'origine, tu restes française, tu restes étrangère. Tu n'as jamais voulu apprendre leur langue pour rentrer dans le moule, tu as préféré t'adapter. T'adapter et non te conformer. Et pour cela, tu es allée à l'école française. Lorsque tu sors, dans les restaurants, les magasins, tu parles anglais aux employés. Tant que tu te faisais comprendre, ça t'allait.
Vivre en tant qu'expatriée dans un pays étranger implique un certain isolement. Tu t'étais toujours isolée de cette société étrangère pour te réfugier dans une petite communauté d'expatriés français devenue alors ta nouvelle zone de confort. Parler l'autre langue ne te servait à rien puisque tu n'avais aucune intention de te mêler aux locaux.
Et tu était loin d'être la seule dans ce même cas. Beaucoup de tes amis ne maîtrisent pas non plus l'autre langue, à défaut d'avoir vécu beaucoup plus de temps dans ce pays que toi, voire même d'y avoir vécu toute leur vie pour certains. Tout simplement parce qu'eux aussi ont grandi et appris à l'école française toute leur vie, sans que leur parents leur aient appris l'autre langue chez eux, et sans se soucier de ce qu'il se passait en dehors de cette petite communauté.
On dit souvent que vivre dans un autre pays apporte une grande expérience culturelle et enrichissante, disons que c'est à moitié vrai. Toi en tant qu'expatriée, tu ne faisais qu'observer de loin cette culture étrangère depuis ton cercle communautaire. Ce n'est qu'en faisant le pas dans leur monde de travail et d'études que tu as commencé à réellement comprendre cette société si familière et pourtant si différente.******
Après avoir passé des années dans ce nouveau pays, tu as finalement appris à l'aimer. Tu as appris à aimer l'odeur de ses marchés de rue, la vue de ses ruelles remplies de différentes petites boutiques et d'habitations, le goût de ses plats et de ses produits locaux, la diversité de ses paysages et son aspect pittoresque. Tu t'étais même surprise à vouloir y rester lorsque ta mère avait suggéré votre départ de retour pour la France. Mais ironiquement, c'était surtout l'école française dans ce pays étranger qui t'était chère. Les gens y étaient plus ouverts, plus amicaux, plus respectueux. Tu aimais profiter de la meilleure qualité enseignante qu'en France ainsi que de la meilleure qualité du matériel, de l'établissement et de la cantine ; de la richesse du CDI, la terrasse sur le toit et le grand théâtre dans lequel tu t'entraînais à jouer du piano.
Tu comparais souvent l'expérience que tu as reçue de ton établissement et celle que tes amies de France ont reçue de leur école. Sans aucun doute, tu avais bien de la chance de pouvoir profiter de tes années de collège et lycée sans avoir à te soucier des rackettages, de la corruption, de la folie de certains élèves et du harcèlement beaucoup plus présents en France. C'était une des raisons pour lesquelles tu voulais continuer à vivre en expatriation.
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Mais aujourd'hui, tu n'es plus à l'école française. Ta zone de confort se réduit à présent à la petite communauté que représente les membres de ta famille. Pour ne pas gâcher les nombreuses années passées dans ce pays, ne voudrais-tu pas faire l'effort d'apprendre l'autre langue pour ne serait-ce pouvoir comprendre ce que les locaux te disent ? Ou vas-tu accepter d'avoir vécu ici, sans avoir jamais connu la satisfaction d'avoir réussi à interagir avec autrui dans leur propre langue ?
Acceptes-tu ce sentiment de culpabilité et de honte à ne pas savoir parler la langue de tes origines en dépit du temps passé en ce pays ?

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Tu
غير روائيLes pensées, les émotions, les joies comme les frustrations, Tu les vis, Tu les ressens, Tu les assumes, et Je les raconte. Dans les moments où les émotions nous dépassent, on a parfois besoin de faire de l'ordre dans ses sentiments en bazar. Et lor...