Chapitre 1: La chèvre et le corbeau

136 18 2
                                    

   À peine ai-je posé le pied sur le quai de la gare que le froid de l'hiver de cette petite commune de Normandie me glace le sang. Le vent pénètre en moi comme un millier de lames gelées. J'essaye de faire tenir mes cheveux sous mon bonnet mais cela est peine perdue, il n'a pas été conçu pour les personnes noires, j'abandonne donc et le range dans ma poche.

Selon mes recherches cette ville est le chef-lieu de son département, je ne m'attendais donc pas à ce qu'elle soit si petite. Une cathédrale, un cours d'eau et quelques vieux immeubles pleins de charme. Et c'est tout. Les différences avec la capitale sont nombreuses ici et cela me plaît, je ne me sens jamais aussi bien que lorsque je suis loin de chez moi. Même si les circonstances qui m'amènent en ces lieux sont loin d'être agréables.

Et elles ne le sont jamais avec un métier comme le mien, fait de pleurs, de tragédies, de meurtres et où les drames surgissent sans crier gare telle une lionne qui se jette sur sa proie. Cependant c'est la vie dont j'ai toujours rêvé. Peut-être que cela fait de moi une personne bizarre, je ne sais pas. En tout cas c'est ce qu'on ne cesse de me répéter sans fin, je suis unique, étrange, saugrenue, spéciale... Tant pis car lorsqu'on voit le monde comme moi, on a tout, sauf envie de lui ressembler.

Je ressens toujours cette même étrange sensation dès que je me tiens face à un nouveau commissariat. Le cœur qui tambourine comme sur un champ de bataille, la boule qui grossit entre mes entrailles, les mains qui deviennent moites. Et comme à chaque fois, je ne parviens jamais à définir si elle est agréable ou non.
Cependant, tout cela ne m'a jamais empêché de franchir le pas de la porte grâce à mes longues jambes et de commencer les aventures intrigantes qui m'attendent à l'intérieur.

Le calme de l'extérieur est très vite balayé par cette ruche géante. J'ai toujours aimé cette agitation qui contraste avec la tranquillité de l'autre monde. Je me sens comme à la maison en ce lieu inconnu et sais déjà où aller, telle la petite abeille disciplinée que je suis.
L'accueil est facile à trouver grâce au géant qui se trouve derrière. Une telle créature pourrait être impressionnante mais grâce à son large sourire il n'a rien d'inquiétant, nous avons alors tout de suite le sentiment d'être face à un gentil grand ourson.

— Madame, comment puis-je vous aider ?

— Capitaine Yaël Calli, le commandant Tokela m'a appelée pour vous aider avec vos trois victimes.

Quand je lui présente mon insigne, le visage de ce grand ourson s'illumine. Je ne pensais pas être tant attendue. Je le vois alors s'agiter comme s'il venait de faire la découverte du siècle.

— Oh oui, oui, oui bien sûr, Bertrand nous a prévenus de votre arrivée.

L'environnement sonore qui nous entoure est assourdissant entre les multiples conversations, les cris, les bruits de pas ou le téléphone qui sonne sans cesse, j'ai donc peur d'avoir mal entendu.

— Bertrand ?

— Le commandant Bertrand Tokela. Il exige que tout le monde soit appelé par son prénom, il déteste les formalités. Cela ne vous dérange pas j'espère ?

J'aime les formalités, j'aime le protocole, j'aime la hiérarchie, je ne suis pas gendarme pour rien. Cependant ce n'est pas à moi d'imposer ma vision des choses, ils sont chez eux ici, je m'adapterai donc.

— Non bien sûr que non, vous pouvez m'appeler Yaël. Et vous, comment vous appelez-vous ?

— Arthur. Arthur Carrius mais vous pouvez juste...

— Vous appelez Arthur. Enchantée de faire votre connaissance.

Suite à notre courte conversation, nous restons ainsi de longues secondes dans un silence gênant, à nous regarder. Il m'a l'air perdu dans ses pensées, mais je lui laisse le temps de réfléchir, je suis sûre qu'il trouvera par lui-même ce qu'il doit faire. Et, comme toujours, je ne m'y suis pas trompée.

AllumetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant