Chapitre 12: Léandre

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— Monsieur Mica, excusez-moi de vous déranger, une nouvelle fois. Capitaine Calli, nous nous sommes déjà parlé et j'ai besoin de vous, encore.

Contrairement à la dernière fois, la porte s'ouvre en moins d'une seconde. Je ne le dérange pas au milieu d'une partie de jeu vidéo cette fois, j'ai comme l'impression qu'il attendait derrière la porte.

— Où est Delph ?

Pas même un bonjour ou la moindre formule de politesse. Mais je le comprends, la situation est stressante pour tout le monde. Cependant Arthur a l'air choqué par ce personnage. Je sais ce qu'il ressent, moi aussi Léandre m'intrigue.

— Elle est au commissariat. Et nous devons vous poser des questions qui pourraient nous aider.

— Vous me l'avez déjà dit. Mais ça n'a rien changé.

Léandre se décale alors de la porte et nous en profitons, Arthur et moi, pour pénétrer dans l'appartement.

— Car nous avons encore une zone d'ombre. Vous m'avez dit avoir passé la journée seul chez vous il y a trois jours. Auriez-vous la possibilité de le prouver ? Que faisiez-vous ?

— Je travaillais.

Il n'est jamais facile de faire parler Léandre. Il agit comme s'il avait un nombre limité de mots par minute. Mais nous allons devoir aller contre sa nature, nous avons besoin de plus d'informations. Arthur me vient donc en aide.

— Monsieur, quel est votre travail ? Pourquoi travaillez-vous depuis votre domicile ?

— Je suis développeur web en free-lance.

       Le regard d'Arthur s'illumine. Tant mieux car moi je n'ai rien compris. Avant de venir ici j'ai révisé mon lexique des réseaux sociaux mais pas celui de toute la culture internet. Le seul mot que j'ai compris dans ce que vient de dire Léandre est « web ». Je suis donc contente qu'Arthur soit avec moi et que cette information soit importante pour lui. Je ne suis donc maintenant plus que spectatrice de leur conversation.

— Avez-vous vu un client en visioconférence ? Une personne qui pourrait affirmer votre présence ici.

— Non.

— Et c'est tout ? Vous n'êtes pas du tout sorti ?

— Non.

— Vous n'avez même pas vu un voisin ?

— Non.

— Personne ?

Léandre prend une pause, il se donne enfin la peine de réfléchir et peut-être qu'il va dire plus d'un seul mot cette fois-ci.

— Non.

Raté.

— Comment ça non ? Interroge, agacé, Arthur.

— J'ai vu quelqu'un.

Comment ? J'étais jusqu'à présent endormie par cette conversation mais je me réveille d'un coup. Enfin une avancée. Arthur continue alors son interrogatoire pour en apprendre plus.

— Avez-vous son nom que l'on puisse vérifier votre version ?

— Non.

— Qui était-ce ?

— Le facteur. Pour ce colis.

Léandre pointe une boîte en carton avec son menton. Le regard d'Arthur s'assombrit alors, et cette fois-ci je comprends pourquoi. Je peux donc prendre le relais.

— Était-ce un colis remis contre signature ?

— Hum.

Grâce à un mouvement de tête, je comprends que cette onomatopée signifie un « oui ». Cela est une excellente nouvelle pour lui, moins pour Delph. Son alibi devient alors solide, très solide.

— À quelle heure ?

— Je ne sais pas... Vers 15h ou 16h.

— Et Delph n'était pas avec vous ?

— Non pourquoi ?

— Savez-vous où elle était ?

— Elle avait un rendez-vous. Pourquoi ? Me répond Léandre avec un regard interrogatif.

Je n'arrive pas à cacher ma surprise. Un rendez-vous ? Delph ne nous a jamais parlé de ça. Mais pourquoi ?

— Avec qui ? Où ?

— Une agence d'influenceurs. À Paris.

— Quel est le nom de cette agence ? Comment s'y est-elle rendue ? À quelle heure ?

—  « Influensa » avec un « s ». En train. 16h.

Nous nous retrouvons donc avec deux personnes qu'il y a peu n'avaient pas d'alibi et qui maintenant en ont un. Ce revirement de situation nous donne de nouvelles pistes.

— Vous en êtes sûr ? Elle n'avait pas rendez-vous un autre jour ?

— Oui, je l'écoute quand elle me parle. Et non, je ne me trompe jamais.

— Merci beaucoup Monsieur Mica, cela nous aide beaucoup.

— Quand Delph va-t-elle rentrer ?

Je suis décontenancé par cette question. Il est toujours difficile de déchiffrer Léandre, mais je peux apercevoir ici de l'inquiétude. Et je n'ai pas de réponse pouvant le rassurer.

— Dès que possible.

       Je sais, c'est nul, mais je n'ai pas envie de le blesser et de lui avouer qu'il est possible qu'elle ne rentre jamais. Car après tout rien est encore sûr. Il est incompréhensible que Delph n'ait pas parlé de ce rendez-vous mais peut-être que Léandre dit la vérité et qu'elle était vraiment à plusieurs centaines de kilomètres des scènes de crimes ce qui pourrait alors l'innocenter. Des témoins, des billets de train, ça serait parfait.

       Mais imaginons que le facteur nous confirme lui aussi l'alibi de Léandre, cela les ferait sortir tous les deux de notre liste de suspects. Dans ce cas, qui pourrait être l'assassin ?

Nous avons beaucoup trop d'interrogations en suspend pour ne pas chercher les réponses tout de suite. Je lance un regard à Arthur pour lui demander s'il a encore des questions et il secoue alors discrètement la tête de gauche à droite.

— Encore une fois, merci Monsieur Mica. Nous allons vérifier vos alibis et nous vous tiendrons informé de la suite de cette enquête.

Léandre ne se donne pas la peine de me répondre et nous amène à la porte. À peine est-elle fermée qu'Arthur et moi nous précipitons jusqu'à la voiture pour discuter à l'abri des oreilles indiscrètes.

— Félicitations Arthur, votre idée d'interroger Léandre était excellente. Nous avons beaucoup d'informations. Avez-vous le dossier des ours ?

— Des ours ?

— Oh oui pardon, Bernard Rocher et Orso Moretti, tous deux ont des prénoms qui signifient « ours », je les appelle donc comme cela dans mon esprit. Désolée si vous trouvez ça irrespectueux, je ne recommencerai pas.

— Non, ne vous en faites pas. C'est juste une observation très... Juste.

— Merci. Mais bon, nous ne pouvons pas considérer leurs prénoms comme une preuve, car il est possible que cela soit une simple coïncidence. Mais elle est assez drôle en quelque sorte. Mais une chose est sûre, si demain un Björn venait à mourir, ou bien vous Arthur, ce ne serait plus un simple hasard. Mais ne vous en faites pas, j'ai vérifié et Delph n'a pas d'abonnés portant ce nom.

       Mon rire est faible, je n'ai jamais été douée avec l'humour. Et je ne sais même pas si cela peut être considéré comme tel vu que j'ai réellement vérifié. Car oui, cela aurait pu être une piste après tout.

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