Chapitre 10: Restez

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Les conversations que j'ai entretenues la vieille avec Delph et Léandre ne cessent de tourner en boucle dans mon esprit. Delph m'a dit ne pas être sortie de chez elle, tout comme Léandre, mais lui m'explique qu'il était seul.

Un des deux ment, c'est évident, et je pense que c'est Delph. La réaction la plus honnête semble être celle de Léandre qui a répondu spontanément, alors que Delph a cherché ses mots. Cependant, les impressions ne peuvent pas être des preuves.

Ils sont donc, pour le moment, tous les deux suspects. De plus, il est aussi possible que Delph ait effectivement menti mais que cela ait été pour protéger Léandre qui était absent sans raison le jour où un double meurtre s'est réalisé. Delph a peut-être compris que cela pourrait lui causer des problèmes, ce à quoi Léandre aurait pu ne pas réfléchir.

J'espère que Bertrand et Arthur auront de nouvelles informations qui pourront nous aider. Peut-être que Delph leur a expliqué ce qu'elle faisait ce jour-là. Enfin, sans mentir cette fois. Peut-être que l'interrogatoire, qui dure depuis près de vingt-six heures maintenant, lui aura permit de comprendre qu'il ne faut jamais cacher la vérité à la police. Et dans ce cas nous aurions un autre suspect, Léandre.

Je m'étais promis de ne pas le juger, après ce que Lou m'avait dit de lui, mais cela est difficile face à une personnalité si énigmatique. Et après tout, je ne fais que de le traiter comme n'importe qui, un innocent qui peut être coupable.

Je suis arrivée au travail depuis plusieurs heures mais je n'ai toujours pas vu Bertrand et Arthur qui sont très occupés avec l'interrogatoire de Delph. J'entends parfois des éclats de voix, bien que je sois éloignée. J'arrive à être impressionnée alors que ces mots ne me sont pas adressés, je n'ose donc pas imaginer ce que vit Delph, toute seule là-dedans, fatiguée, affamée et je n'en doute pas, effrayée.

Ce n'est que de longues heures plus tard, que je vois un Bertrand conquérant et un Arthur abattu sortir de la petite pièce.

— Et voilà, ça, c'est du bon travail de flics. Et une enquête résolue de plus à mon palmarès. Hurle Bertrand en fanfaronnant auprès de ses collègues.

Je sais déjà ce que cela signifie, mais j'ai besoin d'une confirmation, je vais donc la chercher auprès d'Arthur.

— Que s'est-il passé ?

— Elle... Elle a avoué. Delph a avoué.

Je ne suis pas vraiment surprise, c'est ce que je craignais. Pour moi les aveux n'ont aucune valeur, mais tout le monde n'est pas de mon avis.

Mais pour savoir s'ils peuvent avoir la moindre importance, j'ai une simple question.

— Vous a-t-elle donné un alibi ?

— Non elle juste dit qu'elle était chez elle. Et que personne ne pouvait le confirmer. Un alibi inutile pour l'innocenter donc. Pourquoi ?

Encore une version différente, cette fois-ci elle n'a même pas parlé de Léandre. Le mensonge se confirme de plus en plus.

— Comme ça...

— Donc vous pensez que c'est elle la tueuse ? Qu'elle pourrait être notre Bête ?

Je prends du temps avant de répondre. Mon instinct ne me guidait pas vers elle, mais mon métier est d'écouter les preuves. Et pour le moment, nous avons un mensonge et des aveux qui nous dirigent en sa direction. Je ne peux donc pas nier les faits.

— C'est possible. C'est même probable.

Arthur me fixe les yeux ronds. Il a passé de nombreuses heures avec elle, a entendu ses aveux, a eu accès à toutes les preuves, et pourtant il ne semble pas convaincu par sa culpabilité. C'est étrange. Delph est mystérieuse, j'ai même la preuve que c'est une menteuse. Et pourtant, Arthur et moi avons des difficultés à la penser capable de réaliser de tels actes.

Mais je ne dois pas écouter mon cœur, on enquête avec sa tête. De plus, j'ai lu un article qui expliquait que nous étions plus conciliants avec les belles personnes. C'est donc peut-être pour cela que nous avons tant de mal à l'accuser. Il est possible qu'Arthur et moi soyons aveuglés par sa beauté.

Et peu importe leur physique, les coupables doivent être punis. Puis cela ne serait pas la première fois, nous ne comptons plus les tueurs en série qui étaient attirants, et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils peuvent gagner la confiance de leurs victimes. Cela aurait été un jeu d'enfant pour Delph de séduire ces hommes et de faire donc en sorte qu'ils leur ouvrent la porte de leur maison.

— T'as vu ça Yaël ? Tu pourras raconter ça au 36. Encore un mystère résolu par le grand Bertrand Tokela. Ça va les impressionner. Ça ne m'étonnerait pas qu'on m'appelle bientôt pour rejoindre la crim' mais tu leur diras que je ne suis pas intéressé, une douce retraite en bord de mer m'attend dans quelques mois, je ne vais donc pas déménager maintenant.

— Félicitations Bertrand, vous aviez raison. Finis-je par sortir de ma bouche.

— Et oui, comme toujours. Il est juste dommage que l'on t'ait écouté. Si on avait fait ça dès le premier jour on aurait gagné du temps. Mais tu as de la chance, elle n'a tué personne pendant que tu enquêtais. Sinon ton erreur aurait pu te coûter cher.

— Oui, heureusement.

Je ne suis pas persuadée que Bertrand ait pu entendre ma réponse tant ma mâchoire est serrée. Mais je ne dois pas être mauvaise perdante, je fais donc mon maximum pour rester calme, ce qui lui permet de continuer de m'enfoncer plus bas que terre.

— Mais bon, nous n'avons plus besoin de toi à présent. Donc faisons économiser des frais aux contribuables, tu peux rentrer chez toi dès demain. Arthur, crie alors Bertrand, amène donc notre chère Yaël à son hôtel, qu'elle puisse préparer sa valise et nous quitter.

Avant même que je ne puisse répondre, Bertrand me tourne le dos et me laisse seule avec Arthur qui me regarde avec compassion. J'ai comme le sentiment d'avoir été mise à la porte, je sais que Bertrand est content de se débarrasser de moi et je ne peux rien dire. Pour tous, l'enquête est bouclée, la dangereuse criminelle est derrière les barreaux, je n'ai donc aucune raison de rester. D'autant plus que l'on m'attend ailleurs. Rester ici à brasser du vide signifie ne pas aider d'autres policiers pour arrêter un autre tueur, et éviter qu'il ne fasse d'autres victimes.

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Voilà, nous sommes déjà arrivés à mon hôtel. J'ai du mal à croire que cette aventure soit déjà terminée, si vite. J'ai le sentiment de n'avoir rien fait, d'avoir été inutile. Alors que j'allais remercier Arthur et quitter la voiture, il me stoppe.

— Donc vous partez vraiment ?

J'ai du mal à comprendre sa question, je pensais pourtant que les instructions de Bertrand étaient claires. Je dois donc lui expliquer à nouveau que cette enquête est bouclée.

— Oui, je n'ai plus rien à faire ici, c'est fini.

— En êtes-vous sûre ?

AllumetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant