Un vase brisé ne peut être réparé.

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Le vent souffle sur ce quartier calme et éloigné. La lune éclaire les arbres et le beau jardin autour ce cette calme maison. La température ambiante fait rêver, on pourrait se croire dans un film : on s'y verrait assis, sur ce beau balcon avec un livre à la main, à se détendre. Les frileux pourraient même s'y voir allongés sur un transat, enroulés dans une couverture et un chocolat chaud en mains. Un si beau paysage, un temps si calme donnerait envie à n'importe qui d'être là, maintenant.
N'importe qui, sauf eux.
La nuit vient de tombée et deux âmes en détressent se tiennent dans leurs corps respectifs, tous les deux debout sur ce balcon qui ferait rêver beaucoup d'autres êtres humains. Un silence plus lourd que le plomb règne après que Kamilia ait prononcé cette dernière phrase. Quelques mots. Ce ne sont que quelques mots qui ont suffit à tout faire basculer.
— Qu- Quoi ? S'étonne le bel homme aux yeux gris.
— T'as très bien entendu. C'est terminé, lui répond la jeune femme et elle est catégorique.
— Kamilia, attends. Je sais que tu es en colère, mais-
— Mais quoi, Levi ? Dit-elle en le coupant. Tu m'as laissé tomber. Point. Il n'y a rien d'autre à ajouter. Alors ramène moi chez moi, s'il te plaît.
Un air déçu de lui-même, Levi acquiesce sans même essayer plus que ça. La jeune femme ravale ses larmes, ne voulant plus montrer à qui que ce soit ne serait-ce qu'une once de faiblesse. Elle entre la première dans la voiture, à l'arrière, avant de se rendre compte que ce n'est pas un chauffeur qui va la ramener, mais bien Levi. Lorsqu'elle tente alors de redescendre, les portes se verrouillent.
— Laisse-moi tranquille, lui ordonne la jeune femme.
— Kamilia, je veux juste te déposer.
— Tu ne saurais même pas où me déposer, elle rétorque d'un ton froid.
— Alors dis-le moi.
— Pour que tu puisses me suivre constamment ? Je passe mon tour.
Le jeune homme se tait l'espace de quelques secondes. Néanmoins, Kamilia n'a pas gagné la bataille pour autant : elle est toujours coincée dans la voiture avec l'homme qu'elle vient de larguer. Ses yeux restent rivés sur l'extérieur alors qu'elle attend patiemment que le bruit de la portière que se déverrouille se fasse entendre. Au bout de quelques secondes, la voiture démarre au grand désespoir de cette dernière qui pousse un grand soupir.
— Je te dépose à ton ancienne adresse, lâche le bel homme.
C'est exactement ce que voulait la demoiselle : qu'il la dépose chez Sarah et Kieran pour qu'elle ne soit pas seule. Elle souffre encore beaucoup et malgré le fait que Jean se soit enfin réveillé pour la première fois, l'image de son ami perdant littéralement la vie tourne constamment dans son cerveau. Ils roulent et le trajet lui semble interminable. Les minutes passent puis, au bout de ce qui lui a semblé être une éternité, elle reconnaît enfin la route vers son ancienne résidence. Cette fois-ci, lorsqu'elle ouvre la portière, celle-ci est bel et bien déverrouillée. 
— Kam, attend s'il te plaît.
Malgré sa colère et à la grande surprise de son chauffeur, la jeune femme s'arrête à l'entente de ces mots. Elle tourne la tête vers celui qui était il y a quelque temps l'homme qu'elle voulait avoir à ses côtés pour toujours, un sourire aux lèvres et une larme accompagnant le tout.
— Je t'aime, Levi. Réellement. Mais un vase brisé ne peut être réparé.
Sur ces mots, elle sort de la voiture, referme doucement la portière et se dirige vers l'entrée de la maison. Sans même se retourner, elle passe la porte et la referme immédiatement. Elle attend quelques secondes puis, à son grand désespoir, elle entend le beau bruit du moteur qu'elle avait tant pris l'habitude d'entendre s'éloigner. Là, en réalisant que c'est réellement fini, elle s'effondre. Pourquoi elle pleure ? Elle voulait qu'il parte, non ? Mais même si elle le voulait, une immense part d'elle espérais qu'il la retienne encore et qu'il essaie encore de tout arranger. Mais il ne l'a pas fait et il est parti.
Et Kamilia se retrouve avec comme seule compagnie : sa solitude.
Quelques minutes plus tard, Sarah descend les escaliers, trouvant son amie éloignée affalée sur le sol, peinant à respirer.
— Kamilia ? S'affole la brune. Qu'est ce qu'il se passe ? Ça ne va pas ?
— C'est... Tout... Tout est...
Les haut-le-cœur de la jeune femme l'empêchent de parler correctement tant son état est lamentable.
— Sa... Sarah...
— Shhht, souffle Sarah en prenant Kamilia dans ses bras. Ça va aller. T'en fais pas.
Après des heures à soutenir la jeune femme, Sarah réussit enfin à la mettre au lit, non sans effort, après lui avoir fait prendre un bain. Elle positionne la couverture sur le corps de son amie endormie pour empêcher le froid d'atteindre son organisme, puis, recule lentement pour sortir de la chambre. En bas, elle rejoint Kieran et ce dernier lui lance un regard interrogateur.
— Alors ? Demande le jeune homme.
— C'est dans la poche, répond Sarah.
— T'es sûr de ton coup ? Parce que si ça foire, c'est nos têtes qui seront coupées, et moi, j'aime bien vivre.
— Elle est complètement brisée, Kieran. Pas de mec pour la protéger, plus de meilleur ami...
— Donc, reprend Kieran. C'est pour quand ?
Sarah se gratte l'arrière de la tête, réfléchissant quelques secondes avant de prendre un air à la fois sérieux et malicieux.
— Si je les appelle maintenant, je dirais demain. Peut-être même dans la soirée. 
— Appelle-les dans ce cas, ordonne-t-il. Je veux en finir au plus vite avec ces conneries.
— C'est trop risqué. Il est vivant et s'est réveillé alors si elle ne vient plus le voir, il se doutera de quelque chose.
— Alors on fera le nécessaire pour qu'il ne s'inquiète pas de ne plus la revoir, lâche Kieran d'un ton froid.
En haut, dans la chambre, Kamilia dort profondément. Si profondément qu'elle est loin de se douter que juste en dessous d'elle, un réel merdier est en train d'être organisé.
Le lendemain matin, tout est flou. La douleur de la veille fut si intense pour la jeune femme qu'elle en a encore mal au yeux. Elle se réveille, elle s'étire, puis se lève, réalisant qu'elle est seule avec Sasha. Elle la rejoint dans la cuisine et cette dernière affiche un énorme sourire.
— Alors ? Tu as pu dormir un peu ?
— Oui, répond Kamilia puis d'un coup, elle saute dans les bras de la brune en face d'elle. Merci pour tout, Sarah. Entre Jean et ma rupture... Toute ma vie qui part en vrille... Merci d'être là.
— C'est normal. Tu comptes aller le voir quand ? Questionne-t-elle.
— Aujourd'hui. Et demain. Et encore après. Jusqu'à ce qu'il puisse tenir debout et rentrer avec moi.
— Tu devrais te reposer aujourd'hui, tu ne crois pas ? Suggère Sarah.
Kamilia prend une bouchée de la brioche aux pépites de chocolat sur la table, puis, lorsqu'elle finit de mâcher, elle respire avant de répondre :
— Je me reposerais lorsqu'il sera mort.
— Kamilia, tu dois te reposer. Et puis, même si tu attends un jour de plus pour y aller, c'est faisable non ? Au moins tu lui laisses lui aussi le temps de se remettre en état de te recevoir.
À ce moment-là, Kamilia ne se doute de rien, mais le choix qu'elle s'apprête à faire est celui qui décidera de son sort futur.
— Alors on va couper la poire en deux : je passe le voir en coup de vent et je reviens avant quatorze heures pour dormir jusqu'à demain, c'est d'accord ? Propose-t-elle à son amie.
— Bon, d'accord. Mais tu fais attention. Tu ne veux pas que je te dépose, sinon ? J'ai pas cours aujourd'hui, propose gentiment la brune à son tour.
Kamilia hésite quelques secondes mais, ne se doutant de rien, elle accepte. Elle finit de prendre son petit-déjeuner puis se prépare pour aller voir son ami. Se mettant du côté passager, elle pose sa tête contre la vitre et tente de penser à autre chose le temps du trajet. Après des dizaines et des dizaines de kilomètres, les deux jeunes femmes arrivent enfin à destination. La passagère sort en courant de la voiture et monte les marches à une vitesse monstre. Lorsqu'elle arrive à la porte de son ami, elle la pousse avec une force phénoménale et un immense sourire s'affiche sur son visage la seconde d'après : il est réveillé.
— Bonjour toi, il dit le premier.
Mais Jean n'a pas le droit à une réponse verbale, non. En réponse, la jeune femme lui saute dans les bras -délicatement pour ne pas le blesser- en pleurant encore le peu de larmes qu'il lui reste. 
— Tu m'as manqué putain, dit-elle enfin après quelques secondes de silence.
— Je sais, je sais.
Mais la réponse de son ami lui semble étrange, comme s'il n'était pas lui-même. Sur le moment, Kamilia met cela sur le compte de la fatigue et du choc, mais elle remarque très vite que ce n'est pas la raison qui le pousse à agir bizarrement.
— Tu vas mieux ? Elle reprend timidement. Enfin... Je veux dire, malgré les circonstances ? Les médicaments ne sont pas trop forts ? Et la douleur ?
— Tu sais, ça pourrait aller mieux, mais tu le sais déjà, non ?
Ses questions et réactions sont de plus en plus étranges et, malgré les tentatives de la jeune femme pour essayer de passer outre, l'ambiance est trop pesante. Alors elle fait ce qu'elle sait faire de mieux depuis que sa psychologue l'a pris en charge : foncer dans le tas sans réfléchir.
— Qu'est ce que t'as ? Il y a un souci ?
— Je sais pas, à toi de me le dire, il rétorque d'un ton qu'elle ne reconnaît pas.
Ce même ton fait reculer Kamilia, se levant du lit et se mettant sur le fauteuil en face. Elle s'assoit, prend un air plus sérieux et jauge la réaction de son ami. Ce dernier croise difficilement les bras, sûrement à cause de la douleur, prenant un air agacé tel un parent qui attendrait que son enfant se dénonce sur la bêtise qu'il a commis.
— C'est quoi ce ton que tu prends avec moi ? Questionne la jeune femme sans trop comprendre.
— Le ton que j'emploie lorsque j'apprend que quelqu'un me l'a fait à l'envers.
L'atmosphère devient lourde et la tension s'installe sans même que la jeune femme ne puisse l'empêcher. Elle qui avait tout fait pour protéger Jean de toutes ces histoires de gang, elle n'en revient pas de se faire accuser de trahison.
— Jean, si tu parles du travail de Levi et ce que représente sa famille, ça n'a rien à voir avec toi. Je voulais te protéger.
— Comment ça de son travail ? Quel travail il fait ? Il demande à son tour d'un air perdu.
— Si tu ne parles pas de ça, de quoi est ce que tu parles ? Répond-elle en évitant la question.
— Tu m'avais promis de ne jamais rien dire à personne. Tu m'avais promis que tout ça serait derrière nous et que jamais cela ne pourrait empêcher qu'on avance et qu'on réussisse.
Kamilia reste bouche-bée, ne comprenant pas de quoi parle son ami. Elle n'a jamais rien dit à Levi et, la seule personne soupçonnant quelque chose de leur passé est Leïla, alors en quoi elle aurait trahi son meilleur ami ? Cette question ne reste pas longtemps sans réponse car, la seconde d'après, le jeune homme balance une enveloppe à la figure de son amie. Elle la saisit, l'ouvre en regardant son expéditeur -une entreprise très convoitée pour les stages universitaires- et la lit.

« Monsieur Yena,
Nous avons le regret de vous annoncer que votre candidature en stage dans notre entreprise n'est plus retenue, comme convenu.
En effet, une source anonyme nous a fourni les documents ci-joint, soit votre arrestation datant du 06 juillet 2017. Bien que votre casier judiciaire soit mystérieusement resté vierge, engager un individu capable de cet acte irait à l'encontre de nos principes.
J'espère tout de même que vous trouverez votre bonheur et que votre futur ne sera pas gâché par ce contre-temps.
En vous remerciant de votre compréhension et en vous souhaitant une bonne continuation,
Cordialement, Joyce CARER, directeur de l'équipe INTRATECH ULTRA.»

Les yeux de Kamilia n'ont pas le temps de laisser échapper de larmes car, à la seconde où elle finit de lire cette première lettre, une deuxième lui tombe dessus, cette fois-ci, venant de l'université.

« Cher Jean Yena,
Nous avons l'immense regret de vous annoncer votre renvoi de notre établissement à compter de ce jour.
Malheureusement, dû à vos activités illégales et vos dossiers ayant fuités, nous sommes dans l'obligation de mettre fin à votre scolarité au sein de notre université.
En effet, comme vous le savez, les stages sont obligatoires pour valider votre année et, au vu de votre parcours de vie passé, aucune entreprise ne donnera de retour positif à vos demandes, ce qui signifie que votre diplôme ne pourra pas être validé et donc, que continuer votre scolarité est totalement inutile.
Comme vous vous en doutez, notre établissement, ayant un taux de réussite de 98,7%, ne peut pas prendre le risque de laisser une quelconque bêtise nuire à ce pourcentage.
Nous vous souhaitons tout de même une excellente continuation,
Cordialement, l'équipe universitaire. »

Face à ces lettres, la jeune femme lâche une petite larme. Comment il a pu en recevoir, mais pas elle ? 
— Attends.. Tu ne crois tout de même pas que c'est moi qui t'ai balancé ? L'interroge la demoiselle.
— Qui d'autre, hein ? Qui d'autre à part toi, moi et tes parents sont au courant ? Parce que j'ai essayé de les joindre, figure-toi, et tu sais ce qu'il m'ont dit ? Que de toute manière, ma place était maintenant occupée par la personne suivante sur la liste d'attente. Coïncidence ?
— Jean, j'ai trouvé mon stage chez METATECH depuis bien longtemps, bien avant que tu ne fasse ta demande, c'est toi qui m'a demandé de postuler chez I-ULTRA pour avoir le choix et qu'on puisse se retrouver ensemble en stage !
— Et comme par hasard, mes dossiers fuitent ? Une semaine avant le stage et un mois avant la fin de l'année et la remise de diplômes ? Lâche ce dernier d'un ton froid.
— Jean, la seule chose sur laquelle je t'ai menti, c'est-
La jeune femme se fait immédiatement couper par son ami qui reste sur ses positions.
— JE M'EN TAPE DE CE QUE TU AS A DIRE ! Hurle-t-il. C'était toi et moi contre le monde entier, non ? Alors toi et ton université de merde et ton stage de merde, allez vous faire voir, compris ?!
— Jean, laisse-moi au moins t'expliquer !Crie Kamilia à son tour, désespérée et essayant de se faire entendre à tout prix.
— Je ne veux plus te voir. Kamilia et Jean contre le reste du monde, c'est fini. Maintenant fous moi le camp d'ici, et vite.
— Mais... Jean ? Peine-t-elle à dire tant ses yeux sont remplis de larmes.
— FOUS. MOI. LE. CAMP.
Prise au dépourvue, la jeune femme n'a pas le temps de pleurer. Au lieu de cela, elle se lève et ses pieds l'amènent machinalement vers la porte, se retenant de pleurer pour ne pas s'effondrer avant d'arriver à la voiture avec son amie. Elle sort, sans même se retourner pour faire face à son ami qui vient de la chasser et descend les escaliers. En chemin vers la voiture, elle n'entends plus rien. C'est comme si rien autour d'elle n'existait et, sans même s'en rendre compte, elle arrive à la voiture. 
— Kamilia ? S'affole Sarah en la voyant arriver. Hé, ho ? Qu'est ce que t'as ?
Mais cette dernière n'obtient pas de réponse. Kamilia entre machinalement dans la voiture sans même dire un mot. Au fond d'elle, elle a envie de hurler, de pleurer. Mais elle se sent juste vide. C'est comme si elle avait fait taire ses émotions pour ne pas les ressentir, du moins, pas de suite. 
Car si elle décide d'écouter ses émotions, elle sait qu'elle en mourra de chagrin.

You&Me ( Tome 1 ) : That's who I amOù les histoires vivent. Découvrez maintenant