Chapitre XXV - Le droit d'aimer et le devoir de séduire

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Eden passa le reste des vacances prostré dans son fauteuil. A demeurer oisif, il se persuadait qu'il n'avait ni rôle ni responsabilité. Il s'abandonnait à l'inaction et redevenait Archange. Face aux murs blanc, il rêvait de son salon et contemplait le grand tableau rouge. Puis il fermait les yeux et, lorsqu'il les rouvrait, le tableau disparaissait, remplacé par le plâtre nu.

Le jour de la rentrée, alors que débutait le deuxième semestre de l'année, il avala le comprimé. La chaleur provoqua des picotements dans les extrémités de son corps. Il savoura l'apaisement instantané qu'elle entraîna. Sous sa poitrine, son cœur battit. Son souffle se régula, ses mains cessèrent de trembler. La douleur dans son omoplate revint, il ne s'en préoccupa pas. Seule comptait la formidable paix intérieure. Serein, il laissa son protégé à sa journée et flâna dans les couloirs débordant d'une foule qui n'en finissait pas de se déverser d'une salle à une autre.

Le soir, Elias se dirigea vers le gymnase. Dès qu'elle l'aperçut, Noa sauta dans ses bras et le jeune homme manqua de tomber à la renverse dans un éclat de rire.

« No, ne t'avise pas de blesser le seul joueur compétent de mon équipe. »

La rouquine râla et leva les mains en l'air. Elle s'assit à la table de l'arbitre, le menton appuyé sur la paume et les sportifs entamèrent l'entraînement sous la supervision tyrannique de Jay. La sonnerie d'un téléphone interrompit le jeu. Victor décrocha, essoufflé et les cheveux collés par la sueur. Aussitôt, son visage se décomposa. Il ne dit que « j'arrive » avant de récupérer son sac et de quitter les lieux.

« Walter, tu vas où ? dit le capitaine d'une voix dure.

— Ma mère m'a appelé.

— Je m'en fous, tu restes ici. On a les compétitions la semaine prochaine.

— Ma mère est enceinte, Jay. Je t'avoue que je m'en tape un peu de tes compétitions. »

Il se dirigea vers le parking afin de récupérer son vélo. Noa trottina à sa suite, le front barré par l'inquiétude. Elle s'enquit de son état et de celui de sa mère. L'homme aux cheveux verts balaya ses questions d'un revers de main.

« C'est ton père ? dit-elle. Tu veux que je t'accompagne ?

— Je n'ai pas besoin de ton aide. Je n'ai pas besoin d'aide tout court. »

Il rangea les clés de l'antivol.

« Ça n'apporte que des problèmes. »

Il enfourcha l'engin et s'éloigna en pédalant. Il ne pouvait pas se permettre de demander de l'aide. Il n'avait cédé qu'une fois, six ans plus tôt. Il en gardait encore des séquelles. Sur son cœur, la brûlure, dans sa tête, les mots, t'es dégueulasse. Crame tes sentiments de tapette avec ta peau. Il était jeune, à ce moment-là. Ce devait être pour ça qu'il n'avait pas pris conscience que, s'il invitait son petit-ami pas vraiment Prince Charmant chez lui, qu'il l'embrassait dans l'espoir vain de briser sa malédiction, son père découvrirait qu'il aimait les hommes. Il avait compris trop tard son erreur. Quand le métal s'était dressé devant lui et qu'il s'était appuyé sur sa peau.

Il accéléra, les poings serrés autour du guidon. Ce jour-là, il avait juré qu'il resterait seul. Seul avec ses problèmes et seul avec ses amours. Il ne devait jamais plus contrarier son père. Il refoula ses sentiments de tapette. Des années durant, ils furent enfouis sous la barrière de sa peau torturée. Il s'efforça de paraître normal, mais la normalité ne lui convint pas. Il voulait rêver, Victor. Rêver, c'était s'évader, et il fallait fuir. Il se réfugia dans les livres et, le nez plongé dans le papier, il imagina sa vie si son père n'avait pas été là. Puis il imagina sa mère. Elle aurait été heureuse, sa mère. Elle n'aurait pas eu besoin de cumuler les emplois pour financer ses études et les frais de maquillage. Tous les deux auraient pu vivre dans l'appartement sans les bouteilles et les canettes vides qui jonchaient le sol, sans les cris, les coups, la peur.

Eden - Le Temps ne s'arrêtera pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant