Chapitre VII - Il n'est jamais parti

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Elias atteignit la résidence pavillonnaire après trois quarts d'heure de course. Le lotissement se trouvait à l'extérieur de la ville, au bout d'une longue, longue route de poussière bordée de fossés et bercée de silence. Il ralentit le pas et balaya la route du regard avant de traverser. Ses yeux se posèrent sur une silhouette immobile orientée vers lui, au milieu du trottoir d'en face.

« Grandpa ? »

En quelques secondes, son monde s'effondra. Il arracha ses écouteurs. Son souffle soudain précipité l'assourdissait. Il déglutit, rejoignit en quelques foulée l'espace où se tenait celui qu'il avait cru distinguer. Il s'arrêta, il n'y avait plus personne. Juste une entêtante odeur de menthe. La boule dans son ventre réapparut ; il sut qu'il était là, quelque part, tout près. Trop près sans l'être suffisamment. Il se planta sur ses pieds, scruta le vide, étreint par l'espoir vain d'apercevoir encore la silhouette familière. Il tendit l'oreille à la recherche du moindre bruit. Rien. Le silence seul daigna lui répondre. Il leva une main tremblante, l'avança là où il s'était manifesté, il n'osait penser. Sa paume effleura le vide, rencontra une surface solide, il cessa de respirer.

« Grandpa, c'est toi ? »

Ses iris verts le cherchaient, ils tournaient sans trouver de point où se poser. Aveugle, le jeune homme plaça sa confiance dans cette main qui reposait dans l'air. Vacillante, elle suivit la courbe d'un corps, caressa une épaule, continua son lent mouvement comme une lancinante exploration de l'inconnu. Guidé par l'incontrôlable besoin de le voir par le toucher, il atteignit un cou, sa peau nue eut à peine le temps d'entrer en contact avec une surface froide qu'il se retira. Sa main s'affaissa.

« Grandpa, tu es là ?

— Je serai toujours là », dit une voix froide que nul n'entendit.

Eden observait son petit protégé fixer la paume de sa main. Des larmes perlaient au coin des yeux qui ne le discernaient plus. Il recula d'un autre pas. Un humain l'avait touché. Pire, il l'avait volontairement laissé le toucher. L'Envoyé de Dieu inspira avec lenteur une bouffée d'oxygène, gaz agréable qui passait par la bouche, le nez, la trachée, les poumon. Il suivait un chemin défini qui ne changeait jamais. Manège sans cesse répété, cycle de renouveau qui ne déviait pas.

S'il avait pu être comme l'oxygène, ce quelque chose d'inébranlable qui ne subit pas l'érosion du Temps, ce petit rien indispensable à la survie des Hommes, tout aurait été si simple. Son stupide protégé n'aurait pas décidé de se débarrasser de lui, il l'aurait gardé à ses côtés, telle la clé de sa survie. Clé de sa survie, il l'était, l'Ange gardien. Et Elias, lui, était sa clé du Paradis.

« Grandpa, pourquoi es-tu parti ? » dit le jeune homme du bout des lèvres.

Eden recula encore. Un pas de plus, creuser l'écart pour ne plus jamais céder. Tu es Ange, bon sang.

« Je ne suis pas parti. Tu m'as fait partir », dit-il avec un claquement de langue agacé.

À nouveau, le regard papillonna, des yeux larmoyants et suppliants, comme s'il avait eu envie de le voir pour de bon. Malgré ses efforts, Eden ne parvenait pas à comprendre la complexité du cerveau mortel. À la fois simple et bourré de centaines de milliers d'engrenages enroulés en une valse endiablée, à la recherche d'un sens à leur vie.

« J'ai besoin de toi, tu sais...

— Pas moi », dit l'ange.

Elias ferma le poing, se détourna. Il s'éloigna sans sourire. Eden le toisa, souffla quelques mots gorgés de rancœur pour lui-même avant de s'engager à sa suite. Les mots de la vengeance brûlant son âme, je le jure, tu paieras chacun de tes affronts. Une promesse faite à lui-même, car seule la haine assurait qu'il demeurât Ange.

Eden - Le Temps ne s'arrêtera pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant