Elias souriait du mieux qu'il pouvait à la journaliste face à lui. Il s'efforçait d'ignorer les caméras qui enregistraient le moindre de ses gestes, et retenait de toute sa volonté l'envie de tirer sur ses manches retroussées pour dissimuler les cicatrices. Le malaise tenaillait son estomac, ravivant de vieilles angoisses qu'il pensait avoir surmontées depuis longtemps.
Assise sur la même banquette que lui, une femme d'une quarantaine d'années au regard pétillant et à la voix enjouée répondait sans hésitation aux questions voltigeant dans l'air.
« Elias Dearlove, vous êtes donc l'illustrateur du dernier album d'Edith Muzet, auteure jeunesse à succès que nous venons d'entendre... »
Le sourire plaqué sur ses lèvres tressaillit alors qu'il comprenait qu'il devrait répondre. Il cherchait avec une douloureuse vanité la présence rassurante de l'odeur de menthe de son enfance, qu'il ne sentait plus depuis des mois. Il se focalisa sur le grain de beauté sous l'œil gauche de la journaliste. Le même qu'Eden. Sa langue pâteuse s'embourbait dans des ébauches de phrases. Que n'aurait-il pas donné pour échapper à cette interview ?
« Pourriez-vous rappeler votre âge à nos auditeurs ? disait la journaliste quand il retrouva le fil de la discussion.
— Vingt-deux ans, dit-il en se râclant la gorge. Vingt-trois d'ici un mois.
— Si jeune ! Pourtant, vous avez déjà percé dans le milieu de l'illustration ! »
Il sentit sur lui le regard bienveillant d'Edith Muzet. Il lui jeta un coup d'œil et eut le temps d'apercevoir le petit signe d'encouragement qu'elle lui adressait. Ses entrailles nouées se relâchèrent. Il inspira profondément, avant d'abaisser les manches de sa chemise et de se concentrer sur son interlocutrice.
« Elias, quel effet cela procure-t-il de travailler avec quelqu'un d'aussi renommé qu'Edith Muzet ?
— Je ne crois pas que la renommée ait changé quoi que ce soit. En revanche, je ne peux qu'être reconnaissant envers Edith, qui m'a confié une part importante de la confection de son album malgré mon manque d'expérience. C'est une réelle chance d'avoir pu travailler auprès d'une personne si talentueuse.
— Je ne peux qu'être d'accord avec vous. D'autant que vous avez su être à la hauteur de ses attentes ! Et des nôtres également, ajouta-t-elle avec un petit rire. Mais dites-moi, avez-vous d'autres occupations que l'illustration jeunesse ?
— Je peins. »
À peine ce mot eut-il quitté ses lèvres que la peur disparut de son corps. Le poids qui oppressait ses épaules s'envola, les phrases se lièrent dans sa tête, sur sa langue, sous sa voix. Il ressentait l'apaisement des pinceaux qu'il maniait depuis l'enfance.
« J'ai ce rêve d'enfant d'exposer dans une galerie d'art prestigieuse, dit-il en cessant enfin de tirer sur ses manches. Je souhaiterais partager mes œuvres au moins une fois avant de mourir. »
La journaliste s'apprêtait à répondre lorsqu'une sonnerie de téléphone résonna. Elias attrapa l'appareil dans sa poche. Il voulut raccrocher, mais le mot « maison » s'afficha. Son cœur manqua un battement. Il s'excusa et quitta précipitamment le plateau. Il entendit la femme en tailleur bleu marine se remettre de son étonnement pour interroger Edith, puis il se réfugia dans une pièce vide et décrocha.
« Eden ? »
Eden ne touchait pas au téléphone. Il n'aimait pas ça. Il détestait le moindre engin électronique, rechignait à utiliser le badge pour ouvrir la cage d'escalier — quand il daignait mettre un pied dehors —, refusait de toucher un ordinateur et se plaignait de maux de tête s'ils regardaient un film. Eden n'appelait jamais. Pourtant, sa voix répondit dans le combiné. C'est moi, prononcé sans la froideur habituelle. La voix était étrange. Elle chancelait, mal assurée, elle hésitait, reculait, à peine audible.
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Eden - Le Temps ne s'arrêtera pas
Paranormal𝐸𝑑𝑒𝑛 𝑡𝑜𝑚𝑏𝑎. 𝐸𝑡 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑠𝑎 𝑐ℎ𝑢𝑡𝑒, 𝑠𝑎 𝑔𝑙𝑜𝑖𝑟𝑒 𝑖𝑙 𝑒𝑚𝑝𝑜𝑟𝑡𝑎. Eden est un Archange déchu, descendant des plus prestigieux représentants du Ciel. Eden est noble, fier, beau. 𝑃𝑎𝑟𝑓𝑎𝑖𝑡. Eden, pourtant, se perd et s'enf...