Elle hurla de rage.
Agenouillée dans la terre brune que ses jambes écorchées salissaient de sang, elle écouta le cri sans fin qui défia ses poumons. Qui écorcha, de ses notes les plus aigues, la délicatesse de sa gorge. Qui exprima sa souffrance pleine et irrémédiable.
Elle hurla jusqu'à ce que la peine ait tout pris d'elle. Jusqu'à ce que le cri meurt sur ses lèvres. Puis, sous le ciel azur qui ne partageait pas ses larmes, ses deux mains tombèrent à plat sur le sol, maculant le dessous de ses ongles de son sable marronné. Elle sentit une larme peser sur ses cils avant qu'elle ne dégringole sur le relief de sa joue blessée. Vinrent avec elle, les torrents intarissables du chagrin qui la pourfendait, que le vent recouvrit de terre quand il caressa son visage humide.
Entre ses mèches emmêlées, elle observa les monts que formaient ses cuisses puis ceux de ses genoux auxquels la lutte avait infligé des entailles profondes et cuisantes. Plusieurs de ses larmes quittèrent le rictus éploré de son visage pour venir y diluer les traces de sang. Celui qui s'écoulait des marques de son combat acharné. Marqué par l'injustice et la solitude.
Elle releva la tête sur l'horizon sinistre qu'un soleil de crépuscule voilé éclairait à peine. Peut-être refusait-il d'inonder de sa lumière un spectacle aussi lugubre que celui-ci. Un champ de bataille. Son champ de bataille. Piétiné pour un affrontement qu'elle avait perdu et dont la finalité serait à jamais marquée par la boite en bois située devant elle, qu'elle s'efforça d'ignorer du regard.
Aussi commune que symbolique, l'écrin reposait sur l'un de ses flancs, à moitié enseveli parmi les grains de terre poudreuse. Déjà presque enterré. Sa position ultime après qu'elle l'eut fermé de toute sa force pour que plus rien n'en sorte. Car ce qu'il contenait possédait sa volonté propre et s'était démené pour s'en libérer. Malgré tout, elle avait mené cette lutte impossible jusqu'à son terme. La rendant possible à certains égards, bien qu'en verrouillant finalement la boite, elle savait déjà avoir perdu. Trop de ce qu'il renfermait s'en était enfuit et courait maintenant à travers le monde. Si ça n'en était pas la totalité, cela restait une défaite. Une défaite car elle avait été seule. Seule face à lui.
Cette pensée, cette réalité doubla ses larmes jusqu'à ce que la terre apportée par les brises sur ses joues cède la place à la couleur hâlée de sa peau. Elle porta la main à son visage, baigné de sa tristesse, de sa sueur et de son sang, et réalisa que son bras était fracturé. Un bien modeste sort comparé à celui de la femme qui gisait, sans vie apparente, à quelques pieds d'elle.
Pandore.
Allongée sur le sol, inerte, son amie était inconsciente. Voire davantage. Ses mains et ses doigts, parfaitement manucurés, avaient été brisés dans plus de sens impossibles qu'il n'était imaginable de le concevoir. Le souvenir de ce qui lui avait causé de pareils dommage fit contracter sa mâchoire jusqu'à ce que le goût cuivré du sang n'imprègne sa langue. Elle secoua la tête, refusant de se replonger dans l'horreur. Pas aussi tôt. Pas aussi vite.
Pandore n'avait été qu'un instrument. Un symbole. Une propagande pour les faire marcher droit. Elle avait joué un rôle, sans y consentir, dans les désaccords qui les opposaient, Elle et Lui. Une vie sacrifiée pour deux idéologies diamétralement opposées. Sans évoquer la vie brisée que serait celle de son compagnon. Pour Elle, son ami.
Ses yeux dérivèrent sur la géométrie du visage endormi devant elle. Il était auréolé d'interminables cheveux soignés qu'elle avait toujours admiré. Il était d'une beauté, aujourd'hui, figée. Les yeux, qu'elle savait bleus, clos par une dernière sommation. Le nez aquilin fendu dans sa largeur comme si elle avait mené un combat aux mains. Ses lèvres entrouvertes desquelles plus aucun soupir ne se faisait entendre.
Elle fixa la femme pendant quelques minutes. S'attendrit sur sa main défigurée qu'elle avait serré contre les plis de sa robe. S'attarda sur ses longs cheveux ondulés qu'elle l'avait laissé, un jour, lui brosser. S'abima sur le corset de sa poitrine imprégnée du sang de la blessure qui lui avait été fatale.
Ainsi gisait la femme que l'on accablerait, demain, de tous les maux. Celle qui avait ouvert cette maudite boite alors qu'elle aurait du rester fermée. La traitre. La fautive. L'inconsidérée. C'est ce qu'on dirait demain. C'est ainsi que serait déformée la réalité de ce qu'il s'était vraiment passé ici. Etant donnée que seule Elle avait été témoin du combat de Pandore contre le mal qui l'avait poussé à commettre l'irréparable. Qui l'avait commis en son nom. Lui. Cet homme maudis.
Elle ne put retenir ses gémissements de douleur et de chagrin lorsqu'elle s'avança à quatre pattes jusqu'à sa partenaire de lutte. Ses mains tremblèrent quand doucement, elle saisirent sa nuque refroidissante pour la poser sur ses cuisses pliées. Là, le visage de l'inconsciente roula sur lui-même puis s'arrêta quand sa joue pleine rencontra la surface de sa cuisse. N'importe qui aurait pu croire qu'elle dormait. Elle aurait voulu croire que c'était le cas. Mais quand elle pencha son visage au dessus du sien, l'encerclant des lianes de ses boucles brunes, elle ferma les yeux et chercha le souffle d'une respiration inexistante. Ainsi, elle sut que c'était fini.
Des secondes s'égrenèrent avant qu'elle n'ose rouvrir les paupières. Quand elle le fit, à l'instant ou celles-ci s'épanouirent pour découvrir ses yeux, ses larmes chutèrent dans les sillons secs et terreux de celles de l'endormie. Une façon de lui redonner vie car d'ici, on aurait pu croire qu'elle pleurait aussi.
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τρία - Nouvelle version
RomanceComment réagiriez-vous si vous appreniez, à l'aube de vos vingt-cinq ans, que vous ne faites pas partie du genre humain ? Que jusqu'ici votre vie n'a été qu'un mensonge éhonté dissimulant la vérité sur votre véritable identité ? Qu'une vaste série d...