Chapitre 3 - Adrian

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La tête levée vers le ciel, Adrian plissa les paupières pour préserver ses yeux des derniers rayons du soleil. Le vent chaud qui brossait doucement son visage et qui se faufilait dans ses boucles brunes, charriait jusqu'à lui, la fragrance du thym en pleine éclosion. Tiède et citronnée.

Il se fit la réflexion que le bleu lisse du ciel, - qu'il avait vu disparaitre un quart d'heures plus tôt -, avait eu bon goût de céder sa place au crescendo de roses, de mauves et de violet sur lequel son regard s'abimait à l'instant. Peu de vision valaient ce mélange de couleurs. A l'exception peut-être de celle de sa plus jeune sœur, Mathilda, happée par l'admiration de la voûte qui s'imposait à eux. 

Le coucher de soleil de 20h30 était à l'Île de Beauté, ce qu'était la floraison des cerisiers au Japon. Ce qu'il avait de plus précieux au printemps. 

Adrian savait que, de ses deux sœurs, Mathilda était l'épicurienne. Si elle avait pu remplacer sa tenue d'assaut noire, par l'une de ses combines vestimentaires favorites, - faites généralement d'un pantalon en jean taille haute, d'une ceinture revisitée de strass et d'une chemise haute en couleur -, elle l'aurait fait sans hésiter. Mais leur métier en voulait autrement. La sobriété et la discrétion en était les valeurs fares. D'où leurs tenues actuelles, un tee-shirt et un pantalon en toile. Sombres, amples et pratiques .

Mathilda refusait de s'y soumettre complètement. En témoignait le rouge écarlate qui accusait sa bouche pleine, et les créoles en or surdimensionnées que ses oreilles supportaient en signature à la benjamine de la famille Taviani. 

Les mains dans les poches de son pantalon en toile, insensible à la brise qui jouait dans sa frange foncée, elle se laissait absorber par la chute d'Hélios au delà des limites de leur île natale.

Il fallait le dire : c'était plutôt saisissant.

Adrian s'y laissa prendre lui aussi, bien que la beauté de ce paysage ne figure pas au programme de de ce soir.

Autour de lui, le brouhaha des moteurs de leurs véhicules d'intervention, des cliquetis métalliques des armes qu'on maniait et des bruits sourds d'objets qu'on lâchait sur le sol rendait presque imperceptible ses expirations courtes et nerveuses. Elles cessèrent lorsqu'il lâcha doucement sa cheville pour soulager le muscle de sa cuisse. Son genou lui faisait un mal de chien. L'étirer était véritablement douloureux. Mais nécessaire.

Il jeta un nouveau coup d'œil à la silhouette immobile de sa cadette qui ne démordait pas du tableau coloré. 

- Anxieuse, ma poule ? 

Un nouvel embrun de notes salées et citronnées taquina ses narines. 

- Ca me fait mal de le dire mais oui, et plus qu'un peu. lui répondit-elle avec sa sincérité caractéristique. 

Un rayon de soleil illumina le profil du visage de Mathilda. Il l'aperçut plisser de protestation son nez lutin avant qu'elle ne s'arrache à la toile céleste en secouant la tête. 

- Et toi, mon poulet ? Bifurqua-t-elle subtilement. Tous ces étirements sont-ils faits pour distraire ton anxiété ou plutôt ton enthousiasme ?

Il attrapa son autre cheville et examina sa sœur d'un regard perplexe.

- De l'enthousiasme ? Pourquoi serais-je enthousiaste alors que nous nous apprêtons à enlever une femme contre sa volonté ?

Le gloussement de Mathilda se dissipa dans l'air au point qu'il n'en discerna que de maigres bribes.

- A toi de me le dire. A te voir, j'ai la forte impression que tu bouillonnes d'excitation. Mais pas de honte à avoir : ce serait le cas de n'importe quel esprit revanchard dont le pire ennemi s'apprête à débarquer.

τρία - Nouvelle versionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant